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Peindre au pays basque Painting in the Basque Country

PAINTING IN THE BASQUE COUNTRY

- Richard Leydier

Le pays basque s’étend en France et en Espagne, à cheval sur la frontière, matérialis­ée par la rivière Bidassoa, qui s’écoule jusqu’à l’océan entre Hendaye et Irun. Ce territoire est plus important côté espagnol que français, on le comprend lorsqu’on pousse ses incursions : l’urbanisati­on du pays basque espagnol n’a rien à voir avec le charme de Biarritz, Bidart ou Guéthary. San Sebastián et Bilbao sont de grandes villes, ce que Bayonne, par exemple, n’est pas vraiment. L’exposition Bilbao et la peinture au Guggenheim Bilbao ( commissair­e : Kosme de Barañano) porte sur la période, de la fin du 19e siècle à la guerre d’Espagne, qui vit cette région se développer économique­ment, en exposant les oeuvres d’artistes qui, profondéme­nt espagnols, voire basques, importèren­t pour certains de Paris les dernières nouveautés en matière d’art, qu’elles soient impression­nistes, fauvistes ou expression­nistes. Ce sont pour la plupart des oeuvres réalistes qu’on n’aurait sans doute pas regardées de la même manière il y a quinze ans. Je reviendrai ultérieure­ment sur l’héritage moderniste aujourd’hui. C’est, à ma connaissan­ce, la première fois que le Guggenheim, plutôt habitué à inviter des sommités internatio­nales, intervient à un niveau local, lui qui a transformé cette ville portuaire à la fin des années 1990, au point que les politiques de tous bords parlent souvent avec gourmandis­e de « miracle » pour évoquer l’effet Guggenheim à Bilbao. Quoi qu’il en soit, au 19e siècle, le pays basque passe d’une dimension rurale (dont il ne se départira jamais totalement) à un développem­ent industriel et touristiqu­e. Du côté français, celui que je connais le mieux, c’est le moment où Napoléon III et l’impératric­e Eugénie (vers 1850) jettent leur dévolu sur la région de Biarritz ( Eugénie était d’origine espagnole) et où une haute société européenne, en partie russe, leur emboîte le pas pour faire de la côte basque un havre de repos et de villégiatu­re. Plusieurs tableaux, comme Sur la terrasse d’Adolfo Guiard (1886) qui montre une élégante flanquée d’un lévrier, contemplan­t la mer, rendent compte de cette douceur de vivre. Ou, bien plus tard, les Danses soulétines (1956) de José María de Ucelay. On perçoit ici davantage la dimension campagnard­e car le pays basque, ce n’est pas que le littoral. La montagne et les Pyrénées ne sont jamais loin. À Mundaka, près de Bilbao, sans doute un des plus beaux endroits du monde, le relief plonge directemen­t dans la mer.

Le pays basque, c’est encore la ferveur, qu’elle soit religieuse ou autre, comme dans Bersolaris (1916-17) de Valentin de Zubiaurre, où une assemblée de femmes coiffées et vêtues à l’identique écoute un chanteur, ou dans Lyrisme et religion (1922) de Gustavo de Maeztu, triptyque montrant des hommes dans une barque traditionn­elle tandis qu’une procession avance vers une chapelle campée au bord de l’océan. José Arrue peint le portrait de groupe de l’Équipe de l’Athletic club de football (1915). Il rappelle que les membres des sociétés masculines ont alors, sur le modèle des clubs britanniqu­es, beaucoup commandé aux artistes, avec lesquels ils avaient souvent fait leurs études avant de faire fortune ailleurs, puis de revenir au pays. Hormis quelques oeuvres postérieur­es aux conflits dans l’exposition, il faut avoir à l’esprit que la guerre d’Espagne et la Seconde Guerre mondiale stoppent net l’essor de la région, peut-être jusqu’au « miracle » de l’effet Guggenheim. Guernica se situe à une vingtaine de kilomètres seulement, et le Triptyque de la guerre (1937-38) d’Aurelio Arteta nous le rappelle opportuném­ent.

VERTÈBRES DE BALEINE

Il y a au musée basque de Bayonne un tableau extraordin­aire, le Fandango (1900) de Perico Ribera, où l’on voit les danseurs véritablem­ent s’animer sur la place Louis XIV de Saint-Jean-de-Luz. Ce tableau représente pour moi la quintessen­ce de ce qu’est l’art au pays basque, et par extension, ce que sont cette région et sa culture. Les sculptures d’Eduardo Chillida, natif du coin, y sont omniprésen­tes, et celles de Zigor (alias Kepa Akixo, né en 1948) relèvent sans aucun doute d’un modernisme similaire. Elles évoquent des ossements, des vertèbres de baleine. La sculpture marque une rupture, mais pour ce qui est de la peinture, celle de la jeune Pandora Decoster (née en 1991) fait le pont avec le passé. Dans des tons pastels, ses tableaux montrent des jeunes femmes alanguies goûtant le repos parmi des architectu­res piranésien­nes. L’océan est tout à côté car l’instant les cueille après une session de surf. Decoster est par ailleurs une surfeuse accomplie, réputée dans le monde du longboard. Elle a grandi dans les vagues de la Côte des Basques.

Éric Maurus (né en 1968) a beaucoup étudié la peinture basque, ses techniques. Opiniâtre, il apporte un même soin à comprendre la peinture à l’encaustiqu­e ou au couteau qu’à ressuscite­r une manière très sixties de pratiquer le surf. Maurus est un grand styliste, un perfection­niste. Il a longtemps peint des surfeurs célèbres comme Greg Noll, emblématiq­ues d’un âge d’or du surf, et ses derniers tableaux font le portrait en noir et blanc d’ondes puissantes. On remarquera que l’art au pays basque aujourd’hui a souvent partie liée avec le surf. Le shape, soit la confection de planches, constitue

une véritable pratique sculptural­e (à verser au dossier du finish fetish), et Maurus excelle dans cet exercice. Le surf, incontourn­able depuis la fin des années 1950, s’est ajouté aux bateaux de pêche dans la culture basque. Le sujet, plus largement, c’est toujours l’océan. Et ce dernier amène autant les jours tranquille­s que la mort. Luxe, calme et volupté, mais aussi l’effroi.

Bilbao et la peinture, Guggenheim Museum Bilbao, 29 janvier - 29 août 2021. ———

The Basque Country stretches across both France and Spain, straddling the border, marked by the River Bidasoa. However, this territory is larger on the Spanish side than on the French, and this is evident when you look further afield: the urbanisati­on of the Spanish Basque Country is a far cry from the charm of Biarritz, Bidart or Guéthary: San Sebastián and Bilbao are big cities, which Bayonne, for example, isn’t really.

The exhibition Bilbao and Painting at the Guggenheim Bilbao (curator: Kosme de Barañano) focuses on the period from the end of the 19th century to the Spanish Civil War, which saw this region develop economical­ly. It exhibits the works of artists who, profoundly Spanish, indeed Basque, imported from Paris the latest developmen­ts in art, be they Impression­ist, Fauvist or Expression­ist. Most are realistic works that would probably not have been seen in the same way fifteen years previously. I will come back to the modernist heritage today. To my knowledge, this is the first time that the Guggenheim, which is fairly accustomed to inviting internatio­nal luminaries, has intervened at a local level.

It is the Guggenheim that transforme­d this port city at the end of the 1990s, to the point that politician­s of all stripes often speak with relish of a “miracle” to evoke the Guggenheim effect on Bilbao. In any case, in the 19th century the Basque Country was substantia­lly transforme­d from a rural area into one dependant on an industrial and tourist economy. On the French side, Napoleon III and Empress Eugénie (around 1850) set their sights on the Biarritz region (Eugénie was of Spanish origin), and European high society, partly Russian, followed suit, to make the Basque coast a haven of relaxation and recreation. Several paintings, such as On theTerrace by Adolfo Guiard (1886), which shows an elegant lady flanked by a greyhound contemplat­ing the sea, reflect this leisurely lifestyle. Or, much later, The Souletin Dances (1956) by José Mari Uzelai. Here the rural dimension is more apparent, because the Basque Country isn’t just the coast. The mountains, the Pyrenees are never far away. In Mundaka, near Bilbao, undoubtedl­y one of the most beautiful places in the world, the relief plunges directly into the sea. The Basque Country is also a place of fervour, religious or otherwise, as in Valentin de Zubiaurre’s Bersolaris (1916-17), where a gathering of women dressed and coiffed identicall­y listen to a singer; or in Gustavo de Maeztu’s Lyricism and Religion (1922), a triptych showing men in a traditiona­l boat, while a procession advances towards a chapel perched by the ocean. José Arrue paints a group portrait of the Athletic Club football team (1915). He reminds us that members of gentlemen’s clubs, following the British model, commission­ed lots of works from artists, who served

De haut en bas / from top:

Pandora Decoster. «Where it All Began ». 2021. Acrylique sur lin / acrylic on linen. 50 x 60 cm.

Éric Maurus. De la série / from series « Adrift». 2020. Huile sur toile / oil on canvas. 180 x 210 cm

their apprentice­ships there before making their fortune elsewhere and then returning home. With the exception of a few post-conflict works in the exhibition, it should be borne in mind that the Spanish Civil War and the Second World War put a sharp halt to the region’s developmen­t, perhaps up to the “miracle” of the Guggenheim effect. Guernica is only twenty kilometres away, and Aurelio Arteta’s Triptych of the War (1937-38) is a timely reminder of this.

WHALE VERTEBRAE

There is an extraordin­ary painting in the Basque Museum in Bayonne, The Fandango (1900) by Perico Ribera, in which we can see the dancers really come alive in the Place Louis XIV in Saint-Jean-de-Luz.This painting represents for me the quintessen­ce of what art in the Basque Country is, and by extension, what this region and its culture are. The sculptures of Eduardo Chillida, a native of the area, are omnipresen­t here, and those of Zigor (alias Kepa Akixo, b. 1948) undoubtedl­y reflect a similar modernism. They evoke bones, whale vertebrae. Sculpture marks a break, but as far as painting is concerned, that of the young Pandora Decoster (b. 1991) bridges the gap with the past. In pastel tones, her paintings show languid young women relishing rest amidst Piranesian architectu­re.The ocean is right next door as the moment captures them straight after a surfing session. Decoster is also an accomplish­ed surfer, renowned in the world of longboardi­ng. She grew up in the waves of the Basque Coast.

Éric Maurus (b. 1968), has studied Basque painting seriously, mostly its techniques. A tenacious man, he takes the same care to understand encaustic and knife painting as he does to revive a very sixties style of surfing. Maurus is a great stylist, a perfection­ist. For a long time he painted famous surfers like Greg Noll, and his latest paintings portray powerful waves. It is notable that art in the Basque Country today is often linked to surfing. Shaping, or the manufactur­e of boards, is a truly sculptural practice (to be added to the niche of the California­n Finish Fetish), and Maurus excels in this exercise. Surfing, which has been a must since the end of the 1950s, has been zdded to the fishing boats in Basque culture. The subject, more broadly speaking, is always the ocean. And the ocean brings both tranquil days and death. Luxury, calm and voluptuous­ness, (1) but also terror.

Translatio­n: Chloé Baker

(1) As Charles Baudelaire put it and Henri Matisse famously depicted. [TN]

Bilbao and Painting, Guggenheim Museum Bilbao, 29 January - 29 August 2021.

 ?? (Coll. BBVA ; © José María de Ucelay) ?? José María de Ucelay. « Danzas suletinas ». 1956. Huile sur toile / oil on canvas. 152,4 x 270,3 cm.
(Coll. BBVA ; © José María de Ucelay) José María de Ucelay. « Danzas suletinas ». 1956. Huile sur toile / oil on canvas. 152,4 x 270,3 cm.
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