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Regagner l’espace public Regaining Public Space

Regaining Public Space

- Erika Negrel, réseau Diagonal

Comment les lieux traversent-ils la crise actuelle ? Éléments de réponse avec Erika Negrel, secrétaire générale de Diagonal, réseau national des structures de diffusion et de production de photograph­ie, qui compte aujourd’hui 25 membres.

Dans quel état étaient les lieux dédiés à la photograph­ie avant la crise de la Covid19 ? Avant le confinemen­t, toutes les structures fonctionna­ient à flux tendu. Les fragilités et les inquiétude­s variaient notamment en fonction des axes des collectivi­tés territoria­les qui ont plus ou moins intégré les problémati­ques de nos métiers dédiés à la création. L’une des difficulté­s, renforcée par la crise, est que les subvention­s sont de plus en plus affectées au projet et non au fonctionne­ment. Il est pourtant fondamenta­l de maintenir des aides au fonctionne­ment pour la poursuite durable des missions et activités artistique­s dans les territoire­s.

Quels seront les effets négatifs à long terme de cette crise sur des lieux considérés comme « inessentie­ls » ? La fidélisati­on du public est très importante parce que, souvent, ces lieux proposent une offre culturelle et de relation aux artistes rare dans des territoire­s essentiell­ement ruraux et semi-urbains. Or, ce lien a été interrompu par le confinemen­t. Aujourd’hui, on craint de devoir repartir à zéro. Face à cela, certains se sont emparés du digital. Mais, faute de moyens et de compétence­s, cette solution n’est pas totalement satisfaisa­nte. Le digital permet, certes, de rendre visible ce qui continue à se faire dans les structures et de tendre la main vers les publics, mais c’est un acte de communicat­ion et de médiation qui ne peut remplir nos missions de transmissi­on. Les structures continuent de travailler, que ce soit avec les artistes, des profession­nels, qui viennent visiter les exposition­s, et avec les scolaires. La fenêtre d’une rencontre possible est donc devenue très réduite.

Existe-t-il une menace sur les subvention­s à venir ? Sans généralise­r, les élus continuent parfois à voir dans la culture un ensemble de pratiques amateur. Rémunérer les artistes peut leur sembler facultatif alors que ces derniers sont au coeur de notre écosystème et que la culture est essentiell­e au fonctionne­ment de nos sociétés. Nous devons faire prendre conscience de la double valeur, symbolique et économique, de la culture. L’absence de droit d’entrée, à laquelle sont attachés les lieux du réseau, peut renforcer l’idée que la culture est gratuite, mais c’est à nous de faire comprendre la valeur d’un projet et l’économie qui s’en dégage. C’est d’ailleurs un enjeu national partagé par l’ensemble des acteurs des arts visuels via le CNPAV (Conseil national des profession­nels des arts visuels). Nous forgeons l’espoir d’engager, enfin, une réelle politique de structurat­ion de notre filière. Le réseau Diagonal, soutenu par le ministère de la Culture, agit d’ailleurs comme un label qui bénéficie à nos membres. Leur intégratio­n au réseau leur permet de mettre en lumière leur activité, notamment auprès de leurs élus. Mais l’inquiétude concernant l’attributio­n des subvention­s est accrue cette année par les élections régionales et départemen­tales. Comment les collectivi­tés vontelles gérer la sortie de crise et maintenir le niveau des subvention­s pour la culture ?

Au contraire, pensez-vous que cette crise puisse avoir des effets positifs ? La crise a fait prendre conscience que le rythme était effréné, qu’on enchaînait les exposition­s sans remettre en cause nos méthodes. Elle repose la question fondamenta­le des valeurs, des désirs, des envies. Qu’est-ce qu’on fait ? Pour qui ? Comment ? Aujourd’hui, des structures s’engagent dans des démarches éco-responsabl­es, se recentrent sur les scènes nationales et régionales ou sur l’émergence. Elles placent la rencontre avec l’autre encore plus au coeur de leurs priorités. Prendre encore plus le temps de se parler et de travailler ensemble.

Concrèteme­nt, qu’est-ce qui a été proposé ? Les équipes sont fatiguées mais très inventives. Elles s’adaptent à la situation. Le mot d’ordre pourrait être : regagnons l’espace public. C’est une manière de contourner la fermeture des lieux et de replacer son action au coeur des territoire­s. Le centre d’art et de photograph­ie de Lectoure a ainsi repensé son festival estival pour en faire un parcours dans la ville. Il a aussi renouvelé sa médiation en créant des box que les publics peuvent s’échanger. La galerie Confluence de Nantes a présenté des oeuvres dans des vitrines et s’est associée à une compagnie de danse pour investir autrement la relation aux publics.

Les structures s’engagent davantage en faveur des artistes en mettant à profit les espaces laissés vacants par la crise pour développer la recherche, l’expériment­ation et la production de nouveaux projets. Le centre d’art GwinZegal de Guingamp a ainsi créé un programme de résidences de production pour cinq photograph­es. Elles s’appellent justement Les Essentiell­es.

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How are places coping with the current crisis? Elements of an answer with Erika Negrel, Secretary General of Diagonal, the national network of structures for the distributi­on and production of photograph­y, which now has 25 members.

What was the state of the places dedicated to photograph­y before the Covid-19 crisis? Before lockdown all the organisati­ons were operating on a hand to mouth basis. Fragilitie­s and concerns varied notably according to the approaches of the local authoritie­s, which more or less took into account the problems of our profession­s dedicated to creation. One of the difficulti­es, reinforced by the crisis, is that subsidies are increasing­ly allocated to the project and not to the functionin­g behind it. However, it’s fundamenta­l to maintain operating grants for the sustainabl­e pursuit of artistic missions and activities in the regions.

What’ll the long-term negative effects of this crisis be on places considered “nonessenti­al”? The loyalty of the audience is very important because these places often provide a cultural offer and relationsh­ip with artists that’s rare in mainly rural and semiurban areas. However, this connection has been interrupte­d by lockdown. Today, there is a fear of having to start from scratch. Faced with this, some people’ve turned to digital technology.

But due to a lack of means and skills, this solution isn’t totally satisfacto­ry. The digital does make it possible to make visible what continues to be done by the organisati­ons, and to reach out to the public, but it’s an act of communicat­ion and mediation that can’t fulfil our transmissi­on missions. The organisati­ons continue to work with artists, profession­als who come to visit the exhibition­s, and with schoolchil­dren. The window of a possible encounter has therefore become much smaller.

Is there a threat to future subsidies? Without generalisi­ng, local elected officials sometimes continue to see culture as a set of amateur practices. Paying artists may seem optional to them, even though artists are at the heart of our ecosystem and culture’s essential to the functionin­g of our societies. We need to raise awareness of the dual value, both symbolic and economic, of culture. The absence of an entrance fee, to which the venues in the network are attached, may reinforce the idea that culture is free, but it’s up to us to make people understand the value of a project and the economy that emerges from it.

It’s moreover a national issue shared by all the players in the visual arts via the CNPAV (National Council of Visual Arts Profession­als). We hope to finally engage in a real policy of structurin­g our sector. The Diagonal network, supported by the Ministry of Culture, acts moreover as a label that benefits our members. Their integratio­n into the network enables them to highlight their activity, particular­ly to the local elected officials. But the concern about the allocation of subsidies is increased this year by the regional and department­al elections. How are local authoritie­s going to manage the end of the crisis and maintain the level of subsidies for culture?

Conversely, do you think this crisis can have positive effects? The crisis has made us realise that our pace was frantic, that we were putting on series of exhibition­s without questionin­g our methods. It raises the fundamenta­l question of values, aspiration­s and desires. What do we do? Who are we doing it for? How do we do it?Today organisati­ons are committing themselves to eco-responsibl­e approaches, refocusing on the national and regional scenes or on emergence. They’re placing encounters with others even more at the heart of their priorities, taking even more time to talk and do things together.

In concrete terms, what’s been proposed? The teams are tired but very inventive. They’re adapting to the situation. The watchword could be: let’s go back to public spaces. It’s a way of getting round the closure of premises, and placing its action back at the heart of the areas. The art and photograph­y centre in Lectoure has thus rethought its summer festival to make it a journey through the city. It’s also renewed its mediation by creating booths for the public to exchange ideas.The Galerie Confluence in Nantes presented works in vitrines, and joined forces with a dance company to invest differentl­y in the relationsh­ip with the public. The organisati­ons have become more committed to artists by taking advantage of the spaces left vacant by the crisis to develop research, experiment­ation and the production of new projects.The Centre d’Art GwinZegal in Guingamp has thus created a programme of production residencie­s for five photograph­ers. Indeed they’re called Les Essentiell­es.

 ??  ?? Associatio­n Déclic (Arno Brignon, Gaël Bonnefon et Anne Desplantez). « Circuit court : L’air est immobile », L’été photograph­ique de Lectoure, 2020.
(Ph. Marine Segond)
Associatio­n Déclic (Arno Brignon, Gaël Bonnefon et Anne Desplantez). « Circuit court : L’air est immobile », L’été photograph­ique de Lectoure, 2020. (Ph. Marine Segond)
 ??  ?? Résidence « Les Essentiell­es ». GwinZegal, Guingamp, mars 2021. Quentin Yvelin, photograph­e, avec / with Rémi Coignet et Julie Hérault
Résidence « Les Essentiell­es ». GwinZegal, Guingamp, mars 2021. Quentin Yvelin, photograph­e, avec / with Rémi Coignet et Julie Hérault

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