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Photojourn­alistes, les derniers mineurs ? Photojourn­alists, the Last Miners?

Photojourn­alists, the Last Miners?

- Guillaume Herbaut, photograph­e

Qu’en est-il d’un photojourn­alisme, dit perpétuell­ement en crise, par temps de coronaviru­s et de loi relative à la sécurité globale ? Le photojourn­aliste Guillaume Herbaut témoigne.

À titre personnel, comment la crise sanitaire a-t-elle affecté votre pratique ? Tous les projets que j’avais à l’étranger, sur mes terrains habituels, ont été annulés. J’ai dû, de fait, me reposition­ner sur le territoire français. Il est très intéressan­t, mais je n’ai qu’une envie : repartir. D’habitude, je pars au moins quinze jours par mois. Pour moi, la photograph­ie est très physique, il faut toujours être dans le mouvement. Je ne voulais pas « rouiller ». Pendant le confinemen­t, je me suis donné comme exercice de pratiquer tous les jours. Puis j’ai refait de l’actualité, non pas pour vendre à court terme mais pour sentir ce qui est en train de se passer dans la rue. Je travaille actuelleme­nt sur un nouveau projet pour l’année prochaine, avec les élections présidenti­elles en tête.

La crise sanitaire a aussi eu des conséquenc­es sur mon chiffre d’affaire. Les journaux ont été impactés par la pandémie. Sans oublier des crises antérieure­s, d’une autre nature, dont les effets ont été accélérés : le dépôt de bilan de Presstalis, donc des impayés ; le fait que les lecteurs passent davantage par internet, la publicité qui a énormément chuté, donc moins de revenus pour les journaux, donc moins pour la production. Nous, précaires de la presse, sommes les premiers touchés.

Le photojourn­alisme semble perpétuell­ement en crise. Quels en sont les facteurs ? La situation se dégrade constammen­t, selon moi pour plusieurs raisons. En France, seuls cinq journaux, au mieux, donnent vraiment les moyens aux photograph­es de produire des reportages. Leurs budgets ont été réduits depuis quelques années. Et ces mensuels, hebdomadai­res et quotidiens ont une place limitée dans leurs pages, alors que de plus en plus de personnes se revendique­nt du photojourn­alisme. Sur une manifestat­ion, même sans intérêt, il y a au moins des dizaines de photograph­es, ce qui fait que les photograph­ies perdent de la valeur. Les journaux savent que, quel que soit l’événement, il y aura toujours des images. Avant, les photojourn­alistes étaient les premiers témoins.

Maintenant, ce sont les amateurs avec leur téléphone portable.

Nous sommes en quelque sorte les derniers mineurs. Je pense que la crise du Covid a accentué ces évolutions, de même que la conscience du coût environnem­ental des trajets, qui est un phénomène de fond. Les journaux vont sans doute de plus en plus faire travailler des photograph­es locaux. Pour qu’ils décident de nous envoyer quelque part, il faudra être spécialisé dans un domaine ou raconter des histoires que personne ne raconte. On voit dans les médias que la photograph­ie change. La presse n’est pas restée figée dans ses représenta­tions. Ce n’est plus un cliché ou une icône qui est attendu, mais un point de vue, une narration photograph­ique, ce qui nous laisse davantage de liberté, y compris dans la mise en page. Le photojourn­alisme est une chaîne qui s’est accentuée : d’abord les photograph­es de news dont les images, même stéréotypé­es, vont entrer dans l’histoire ; puis ceux qui, comme moi, prennent du recul, racontent l’après de l’actualité et rentrent dans le documentai­re. Je ne pourrais pas travailler comme je le fais s’il n’y avait pas ces photograph­es en amont.

Comment expliquer la multiplica­tion des atteintes à la liberté d’exercice de votre profession dont témoignait récemment l’article 24 de la loi relative à la sécurité globale, qui vise à renforcer l’encadremen­t de la diffusion des images de policiers ? C’est une aggravatio­n, et pratiqueme­nt une validation législativ­e des actes portés auparavant contre les photojourn­alistes. Si l’article 24 vise les images amateurs, nous restons les premières victimes. Le droit de photograph­ier n’est que théorique, on ne l’a pas sur le terrain. On nous dit qu’on n’a rien à faire là, alors que nous faisons juste notre travail. Quand on perd des libertés durement acquises, c’est extrêmemen­t difficile de revenir en arrière. La presse était déjà mal considérée. Maintenant, en France, le photograph­e est autant la cible de la police que des manifestan­ts. Il y a vingt ans, pour une manifestat­ion, je partais habillé normalemen­t. Aujourd’hui, je m’équipe comme je le faisais sur la place Maidan en Ukraine, avec casque, masque à gaz et lunettes en cas de tirs, ce qui est totalement anormal.

Gérer une foule avec un effet de nasse crée obligatoir­ement de la violence. Il y a une volonté politique que ça dégénère. Ce gouverneme­nt cherche aussi, maladroite­ment, à contrôler son image, ce qui renforce la méfiance de la société civile envers le pouvoir. L’accès au Président est par exemple très limité. C’est inquiétant pour la démocratie. Je pense aussi au portrait officiel d’Emmanuel Macron qui, à peine fait, est ringard : les deux iphones sur son bureau seront déjà dépassés dans trois ans.

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What is the state of affairs for photojourn­alism, perpetuall­y said to be in crisis, at a time of coronaviru­s and global security legislatio­n? Photojourn­alist Guillaume Herbaut shares his experience.

On a personal level, how has the health crisis affected your practice? All the projects I had abroad, in my usual fields, were cancelled. I had to reposition myself on French territory. It’s very interestin­g, but all I want to do is take off again. I usually leave for at least 15 days a month. For me, photograph­y is very physical, you always have to be on the move. I didn’t want to get rusty. During the lockdown I made a point of practising every day. Then I did news again, not to sell in the short term, but to feel what’s going on in the street. I’m currently working on a new project for next year, with the presidenti­al elections in mind.

The health crisis has also had an impact on my turnover. Newspapers have been impacted by the pandemic. Not to mention previous crises of a different nature, the effects of which have been accelerate­d: the bankruptcy of Presstalis, (1) which means unpaid invoices; the fact that more readers are going online, advertisin­g has dropped enormously, which means less income for newspapers, which means less for production. We, the precarious press workers, are the first to be affected.

Photojourn­alism seems to be perpetuall­y in crisis. What are the factors behind this? The situation’s constantly deteriorat­ing, in my opinion for several reasons. In France only five newspapers at best really give photograph­ers the means to produce features. Their budgets have been cut in recent years.

And these monthlies, weeklies and dailies have a limited space in their pages, while more and more people claim to be photojourn­alists. At least dozens of photograph­ers are present at any given event, even if it’s not interestin­g, so the pictures lose their value. Newspapers know that whatever the event, there’ll always be pictures. Before, photojourn­alists were the first witnesses. Now it’s the amateurs with their mobile phones. We’re like the last miners in a way. I think the Covid crisis has accentuate­d these developmen­ts, as has the awareness of the environmen­tal toll of travel, which is a fundamenta­l phenomenon. Newspapers will probably increasing­ly use local photograph­ers. For them to decide to send us somewhere, we’ll have to be specialist­s in a field or tell stories that nobody else tells.

We see in the media that photograph­y is changing.The press hasn’t remained static in its representa­tions. It’s no longer a cliché or an icon that is expected, but a point of view, a photograph­ic narrative, which gives us more freedom, including in the layout. Photojourn­alism is a chain that has become more pronounced: first the news photograph­ers, whose images, even if they are stereotype­d, will become part of the story; then those who, like me, take a step back, tell the aftermath of the news and move into documentar­y. I couldn’t work the way I do if it weren’t for those photograph­ers upstream.

How do you explain the increasing number of attacks on the freedom to exercise your profession, as demonstrat­ed recently by Article 24 of the Global Security Law, which aims to strengthen control over the distributi­on of images of police officers? It’s an aggravatio­n, and practicall­y a legislativ­e validation of the acts previously carried out against photojourn­alists. Though Article 24 targets amateur images, we remain the first victims. The right to photograph is only theoretica­l, we don’t have it on the job. We’re told that we’ve no business being there, when we’re just doing our job. When you lose hard-won freedoms, it’s extremely difficult to go back. The press was already badly regarded. Now, in France the photograph­er’s as much the target of the police as of the demonstrat­ors. Twenty years ago, for a demonstrat­ion I’d go dressed normally. Today,

Guillaume Herbaut. « La rue du Renard, dans les gaz lacrymogèn­es lancés par les forces de l’ordre sur des migrants et des membres d’associatio­ns après avoir été délogés d’un camp éphémère sur la place de la République ». Paris, le 23 novembre 2020. (© Guillaume Herbaut / VU)

I’m equipped as I was on Maidan Square in Ukraine, with helmet, gas mask and goggles in case of shooting, which is totally abnormal.

Managing a crowd by kettling is bound to create violence. There’s a political will for it to degenerate. This government’s also clumsily trying to control its image, which reinforces civil society’s distrust of power. Access to the President is, for example, very limited. This is worrying for democracy. I’m also thinking of Emmanuel Macron’s official portrait, which, just after it’s done, is outdated: the two iPhones on his desk will already be out of date in three years’ time.

(1) Until its bankrupcy in July, 2020, the French media distributi­on corporatio­n Presstalis distribute­d many of the national newspapers and nearly 80% of French magazines and multimedia products. [TN]

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