James Coleman, explorateur de représentations Explorer
of Representations
Nicolas Liucci-Goutnikov
Du 9 juin au 23 août 2021, le Centre Pompidou consacre une rétrospective à James Coleman, connu notamment pour ses « images projetées ». Des mécanismes de la perception visuelle à la narrativité des représentations, le tout profondément nourri d’histoire des arts, l’artiste irlandais décortique le fonctionnement de l’image, ses strates de fiction et ses temporalités. En trois points, Nicolas LiucciGoutnikov, commissaire de l’exposition, en démêle les fils.
Le grand oeuvre de James Coleman se divise en deux champs d’investigation distincts. Le premier est celui de la cognition visuelle, dont Coleman explore le fonctionnement dès ses débuts à la fin des années 1960. Radicalisant l’héritage du minimalisme, des oeuvres à l’esthétique de laboratoire activent certains mécanismes élémentaires de la perception afin que le spectateur, à la fois sujet et objet de l’expérience, puisse en prendre conscience. Proche de l’artiste Dan Graham, Coleman rend saillant le rôle central de la mémoire et du langage dans l’appréhension des images. Dans Playback For a Daydream (1974), il s’approprie ainsi le fameux dessin de « canardlapin » reproduit en 1900 par le psychologue américain Joseph Jastrow et largement commenté par Ludwig Wittgenstein, comme par Ernst Gombrich. Dans son projet dépourvu de titre pour Documenta 9, il propose une forme mouvante défiant toute assignation à un objet déterminé et met le spectateur au défi d’« essayer dire », pour reprendre les termes de Georges Didi-Huberman.
Le temps occupe également une place fondamentale dans nombre de ces oeuvres dites « phénoménologiques ». Ainsi, les premiers films de Coleman, ancrés dans l’héritage du cinéma expérimental des années 1960, interrogent les faux-semblants du mouvement simulé en recourant à des procédés d’une grande et efficace simplicité : The Clock (ca. 1970) présente ainsi un réveil dont les aiguilles restent immobiles. L’oeuvre mime dans une remarquable économie de moyens – une horloge ne faisant plus passer le temps du cinéma – la fixité de la photographie. L’une des dernières oeuvres en date de Coleman, Still Life (2013-16), représente, elle, un grand plant de pavot à la façon d’un dessin botanique : singulière projection verticale, assez étroite, et de grande dimension. Elle confronte le spectateur à l’hypnose d’une forme aux mouvements présumés : héritage, avec Playback For a Daydream, de la psychologie de la forme.
TROUS DU LANGAGE
À la fin des années 1970, comme le relève le critique d’art Benjamin Buchloh, James Coleman transgresse le rejet de la narrativité par le modernisme en convoquant le théâtre. Les récits déployés par Coleman se placent dans la lignée d’une tradition littéraire irlandaise de l’oralité et des « trous » du langage, entre John M. Synge et Samuel Beckett. À l’instar du théâtre de ce dernier, ils opèrent une nette séparation entre le discours et l’image de ses personnages, rendant incertaine l’association d’une voix à un corps. La rupture avec le paradigme moderniste advient avec So Different… and Yet (1979-80). Enregistrée à Dublin après une minutieuse préparation, cette oeuvre vidéo, qui fait un usage précoce du fond bleu, est marquée par une mise en scène et un méticuleux travail de diction. Le récit fait s’en
Ci-contre / opposite: « Lapsus Exposure ». 1992-94. Page de droite / right page: « Still Life ». 2013-16. Extraits de film / still images from video. (© DR). (Pour toutes les images / all images: Court. galerie Marian Goodman)