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BELHARRA, SURF ET FOLIE

- Peyo Lizarazu

Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai entendu mes proches dire : «Vous êtes des fous », en nous voyant partir surfer en pleine tempête hivernale. La zone de Belharra est connue depuis des siècles des pêcheurs basques. Haut fond redouté, il est encore contourné le jour de fortes houles, afin d’éviter le naufrage. Comptant parmi nos aïeux des marins, mes parents connaissai­ent le danger. Ils savaient aussi que nous n’étions pas simplement inconscien­ts. Avant nous, quelquesun­s avaient effleuré cette idée durant les années 1980, repoussée par l’énormité du challenge. Nous avons exaucé ce rêve en novembre 2002.

Située au large de la côte basque, Belharra n’est pas une vague comme les autres. Sa distance depuis la terre ferme (un peu moins de 3000 mètres) transforme en mission le simple fait d’y accéder. La taille des vagues pour un surfeur, débat plus littéraire que scientifiq­ue, est pourtant ce qui marque : Belharra ne déferle qu’à partir d’une hauteur équivalant à une petite dizaine de fois la taille moyenne d’une personne adulte. Pire, entre deux séries de vagues, les accalmies intensémen­t longues procurent la fausse sensation d’un endroit paisible. Lorsque la houle n’atteint pas la hauteur minimum, elle avance, gondole parfois sans jamais déferler. Il n’existe aucun panneau au large « Ongi Etorri Belharra-n, now go to hell » (1) et aucun balisage non plus pour informer l’observateu­r non expériment­é. Mais pourquoi surfer à Belharra alors ? Parce qu’on voulait le faire. Entre le début du 20e siècle et notre première session en novembre 2002, de nombreuses choses ont évolué.

Mais dans sa descriptio­n la plus minimale, le surf reste identique : un humain, une planche et une vague. Pour Belharra, ce schéma est irréaliste. La zone de déferlemen­t, extrêmemen­t vaste et aléatoire, y rend la pratique du surf – telle que comprise par la grande majorité – aussi risquée qu’inutile, sauf à révéler des tendances suicidaire­s inavouable­s. On risque surtout d’en « prendre une sur la tête ». «Vous êtes des fous », nous disent de nombreux amis surfeurs.

Philippe Lespinasse est journalist­e et passionné de mer. Fin des années 2000, il me fit découvrir l’art brut. Ses explicatio­ns sur ce monde de « fou, mais pas vraiment » m'attiraient, sans que je comprenne vraiment pour autant. Jusqu'à me faire découvrir son documentai­re André et les martiens, avec André Robillard, Judith Scott, entre autres.

Au fil des années, j’ai pu rencontrer André, pas forcément pour mieux comprendre ce que représente l’art brut mais être en revanche profondéme­nt touché. Depuis cette rencontre, je pense souvent à lui, aux chemins de vie, à la supposée folie.

Je dois aussi à Philippe la découverte de cette citation dont l’origine serait partagée entre Aristote et Anacharsis : « Il y a trois types d’êtres humains, les vivants, les morts, et ceux qui prennent la mer. » Devons-nous ajouter une quatrième catégorie pour les surfeurs martiens ?

1 Bienvenue à Belharra, maintenant partez en enfer.

Surfeur émérite, Peyo Lizarazu fut un des premiers à dévaler la vague de Belharra, il y a presque vingt ans.

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