Floryan Varennes
Le sculpteur français et chercheur en histoire médiévale Floryan Varennes module des corps absents et non-normés.
Suite à une résidence «Artiste en entreprise », il présente son travail, à la Maison des métiers du cuir à Graulhet (Tarn) du 1er juin au 3 septembre 2021.
Si l’empreinte du Moyen Âge est omniprésente dans le travail de Floryan Varennes, c’est avant tout par les échos contemporains de cette longue période, qu’il s’agisse des réflexions sur le genre qui la traverse, aujourd’hui primordiales, ou de l’occurrence symbolique de la violence, liée pour l’artiste aussi bien à l’amour qu’à l’univers du soin ( care). Varennes commence par penser la parure, elle qui affilie, encore de nos jours, au genre (le costume, le bijou, l’accessoire). Il emmêle ses archétypes, les tord et les maltraite pour faire jaillir, de ce qui semblait unilatéral, son exact contraire. L’univocité, insupportable pour qui veut s’en extraire, collant à l’humain dès la naissance, et ce depuis de nombreux siècles, dépasse la question du genre. Imprégnée des sentiments que ce temps a connus courtois, la riche production de l’artiste renvoie à un lexique où l’érotisme s’envisage dans le paradoxe. Dans Hiérarque (2016), le col d’une veste de costume d’homme, symbole masculin de la puissance politique, laisse apparaître une mandorle, une vulve. Aseptisée, la ligne du sexe féminin émerge aussi dans Jouvence (2018), où l’attache de deux minerves et d’une cascade de perles blanches semble stériliser toute possibilité de plaisir tout en exprimant la jouissance à venir. Ici, le corps absent est assujetti, soumis à des carcans qui se révèleront jubilatoires.
L’esthétique médiévaliste s’embrase. Dans Gothic My Love (2020), deux branches d’épines noires ( Prunus spinosa) tentent de s’échapper de bacs médicaux de stérilisation, comme
mues par un violent désir bicéphale d’aller chercher au plus loin de deux points opposés. Cette exploration et cette représentation des paradoxes, Floryan Varennes les entreprend depuis ses premières oeuvres, où les dichotomies puisent force et ontologie dans la dualité qu’elles enferment. Cette dernière se décline, non pas par la figuration directe des corps – ceux-ci sont toujours absents des travaux de l’artiste –, mais dans les matières employées et dans la symbolique des traits tracés. Comme une extension corporelle, le verre est soufflé en arme menaçante, mais élégante et fragile dans la lance de joute, objet de parade qu’est Fin’Amor (2018). La couleur s’efface pour laisser au gris, au blanc, au noir, mais surtout à la transparence, toute la possibilité d’être multiple. Le parfum de la lavande, que les plus grandes herboristes telle Hildegarde de Bingen ont maniée pour soigner, est ici exacerbé jusqu’à agresser les sens (lavande aspic dans Millefeurs, 2020). Formes et matériaux sont écartelés pour appeler l’équivoque d’une violence qui éclot silencieusement dans le vocabulaire de la parade. POINT DE BASCULE
Les formes de pouvoir sont transposées à la valeur d’objets historiques par l’artiste qui, en les revisitant, en impose le trouble. À la faveur de l’expression héraldique retrouvée dans des oeuvres étendards ( Sursum corda, 2021), ce qui émane du travail de Floryan Varennes renvoie aux manifestations visuelles et immédiatement identifiables d’une brutalité codifiée et maîtrisée. Ces survenances appellent l’attraction d’une tension, l’étalage d’une lutte possible qui promettrait un soulagement une fois passé. C’est cet instant à la fois inquiétant et porteur d’espoir qui trouve écho dans l’appareillage médical référant au soin constituant une large partie des oeuvres de l’artiste. Le trophée dans le paysage guerrier et la prothèse dans le discours médical, alors, se rapprochent. « Par un jeu de stratification, j’opère une succession de glissements esthétiques et sémantiques. Conjuguer le soin à un acte guerrier me permet notamment de consolider une réflexion où les univers martial et médical sont comme les deux faces d’une même médaille ». Dans Iris (2020), tubes et instruments médicaux s’enlacent pour laisser apparaître la silhouette d’une fleur aussi belle que menaçante, et dans la Meute (2020), rivets, mors, acier et vinyle médical s’affrontent et s’étreignent dans des fragments d’armure. « Marques d’accomplissement », comme l’artiste les envisage, les objets représentant la violence,
« La meute ». 2020. Muselières, tubes connector, tubes médicaux, pvc médical, attaches en inox, rivets, anneaux triangulaires, boucles d’oreilles / muzzles, connector tubes, medical tubes, medical pvc, stainless steel clips, rivets, triangular rings, earrings 180 x 40 cm. Exposition / exhibition « Hard-Care », Galerie du Centre Hospitalier, Chambéry. (Ph. F. Varennes) subjuguent et effraient à la fois. L’amour et le care s’embrassent dans ce qui résultera d’une fureur assurée. Naissent alors, dans cet agressif entre-deux, les allusions à une esthétique empreinte de fétichisme qui place celles et ceux les percevant dans une exacte ambivalence, dans un instant de suspens. Floryan Varennes épouse de biais cette violente ambiguïté en revendiquant plus largement le complexe de duplicité, en le poussant à son paroxysme. Rien n’est montré frontalement, tout se pare d’une esthétique contrôlée qui ne permettrait que le triomphe des contraires.
Sandra Barré, critique d'art, commissaire et chercheuse, porte son intérêt sur l'art contemporain et moderne, et particulièrement sur les manières de faire art impliquant l'expérience physique. Elle publiera l'essai Art et odeurs aux éditions de la Lettre volée à l'automne prochain.
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The French sculptor and researcher in Medieval History Floryan Varennes modulates absent and non-standard bodies. Following an ‘Artist in Business’ residency, he will present his work at the Maison des Métiers du Cuir, in Graulhet (Tarn), from June 1st to September 3rd, 2021.
If the imprint of the Middle Ages is omnipresent in Floryan Varennes’ work, it is above all through the contemporary echoes of this long period, whether it be the reflections on gender that run through it, which are essential today, or the symbolic occurrence of violence, linked for the artist to love as well as to the universe of care. Varennes begins by thinking about adornment, which even today is associated with gender (clothing, jewelry, accessories). He mixes up his archetypes, twists them and
mistreats them to bring out, from what seemed unilateral, its exact opposite. The univocity, unbearable for those who want to extract themselves from it, sticking to the human being from birth, and this for many centuries, goes beyond the question of gender. Imbued with the feelings that this era knew as courtly love, the artist’s rich production refers to a lexicon where eroticism is envisaged in paradox. In Hiérarque [Hierarch] (2016), the collar of a man’s suit jacket, the male symbol of political power, reveals a mandorla, a vulva. Sanitized, the line of the female sex also emerges in Jouvence [Youth] (2018), where the attachment of two neckbands and a cascade of white pearls seems to sterilize any possibility of pleasure while expressing the coming climax. Here, the absent body is subjugated, subjected to shackles that will prove to be exultant. The medievalist aesthetic is set ablaze. In Gothic My Love (2020), two branches of sloe ( Prunus Spinosa) attempt to escape from medical sterilisation containers, as if driven by a violent two-headed desire to reach out to two opposite points. Varennes has been exploring and representing paradoxes since his early works, where dichotomies draw strength and ontology from the duality they enclose.This duality isn’t expressed through the direct representation of bodies—these are always absent from the artist’s work— but in the materials used and in the symbolism of the lines drawn. Like a bodily extension, glass is blown into a threatening, yet elegant, fragile weapon in the jousting lance, a parade object that is Fin’Amor (2018). Colour fades away to leave grey, white, black, but above all transparency, all the possibility of being multiple. The scent of lavender, which the greatest herbalists such as Hildegard of Bingen used to heal, is here intensified to the point of assaulting the senses (broadleaved lavender in Millefeurs, 2020). Forms and materials are torn apart to call forth the equivocation of a violence that silently erupts in the vocabulary of parade.
TIPPING POINT
Forms of power are transposed to the value of historical objects by the artist, who, by revisiting them, imposes their disorder. Through the heraldic expression found in standard works ( Sursum Corda, 2021), what emanates from Varennes’ work refers to the visual and immediately identifiable manifestations of a codified, controlled brutality. These occurrences call for the attraction of a « Fin’Amor ». 2018. Lance de joute en verre
/ glass jousting lance. 270 x 50 cm. Exposition / exhibition « Alter-Héraut», Centre d’art contemporain, Istres. (Partenariat Centre international d’art verrier, Meisenthal ; Ph. Jean-Christophe Lett)
tension, the display of a possible struggle that would promise relief once it has passed. It is this moment, both disturbing and hopeful, that is echoed in the medical equipment referring to care that constitutes a large part of the artist’s work. The trophy in the warrior landscape and the prosthesis in the medical discourse then come together. “Through a layering interplay, I make a succession of aesthetic and semantic shifts. Combining care with a warlike act allows me to consolidate a reflection where the martial and medical worlds are like two sides of the same coin. In Iris (2020), tubes and medical instruments embrace each other to reveal the silhouette of a flower as beautiful as it is threatening, and in La Meute [The Hounds] (2020), rivets, jaws, steel and medical vinyl confront and embrace each other in fragments of armour. As the artist sees it, the objects representing violence are “marks of accomplishment”, which at the same time subjugate and frighten. Love and care embrace each other in what will be the result of an assured fury. In this aggressive in-between, allusions to an aesthetic imbued with fetishism are born, placing those who perceive them in an exact ambivalence, in a moment of suspense.
Varennes embraces this violent ambiguity by claiming the duplicity complex more broadly, pushing it to its climax. Nothing is shown head-on, everything is adorned with a controlled aesthetic that would only allow the triumph of opposites.
Translation: Chloé Baker
Sandra Barré, art critic, curator and researcher, is interested in contemporary and modern art, and particularly in ways of making art involving physical experience. She will publish the essay Art et odeurs [Art and Smells] with the publisher La Lettre volée.
Floryan Varennes
Né en / born in 1988 à / in La Rochelle
Vit et travaille entre / lives and works between Toulon et / and Paris
Expositions personnelles / Solo shows :
2021 Violence vitale, Maison des métiers du cuir, Graulhet
2020 Post-prophylaxie, Centre d’art contemporain La Synagogue de Delme, Lindre-Basse
2019 Ultra-lésions, Galerie des musées, Toulon 2018 Alter-héraut, Centre d’art contemporain, Istres Expositions collectives / Group shows :
2020 Manifesta / Les Arts éphémères, Marseille 2019 64e Salon de Montrouge, Montrouge
2018 Particules / Le Voyage à Nantes, Nantes