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Bernard Moitessier, continuer

- Richard Leydier

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Dans le monde de la navigation, Bernard Moitessier (1925-1994) est une légende. Lors de mon premier voyage en Polynésie, au début des années 2000, je me suis retrouvé en panne de lectures. Mon beau-père m’a tendu un livre. C’était la Longue Route de Moitessier. Je l’ai dévoré, et à mon retour en France, j’ai acheté tous ses écrits. J’avais presque trente ans, et j’avais trouvé une vérité.

Moitessier grandit en Indochine, où il apprend à naviguer sur les jonques traditionn­elles. En 1968, il participe à la première course autour du monde en solitaire, sans escale, le Golden Globe Challenge. Le départ (en ordre dispersé) est donné depuis Plymouth, et le premier prix est un globe en or. À bord de son voilier Joshua, baptisé en hommage au navigateur Joshua Slocum, Moitessier double le cap de Bonne Espérance, le cap Leeuwin puis le cap Horn. Il s’engage dans l’océan Atlantique en direction de l’Angleterre, avant de faire volte-face. Demi-tour, re-Bonne espérance, re-océan indien ; il a décidé d’enchaîner un second tour du monde. Il croise la route d’un cargo, et à l’aide d’un lance-pierre fait parvenir ce message : « Je continue sans escale vers les îles du Pacifique, parce que je suis heureux en mer, et peut-être aussi pour sauver mon âme. » Il ne sait pas qu’il était en train de gagner la course, mais cela lui importe peu : il renonce au globe en or, aux honneurs, car il a découvert une chose bien plus précieuse : il s’est trouvé.

IVRESSE MARITIME

Tous n’ont pas eu cette chance. Donald Crowhurst, autre prétendant au globe, lui, s’est perdu. On retrouvera son bateau, vide, le navigateur s’étant selon toute vraisembla­nce donné la mort, rongé par le remords de l’imposture, puisqu’il n’a jamais vraiment concouru. Moitessier, lui, trace sa longue route, passe à nouveau au sud de l’Australie, mais après un si long temps seul en mer, il commence à entendre des voix et décide de remonter vers la Polynésie, le port de Papeete à Tahiti. Il a pulvérisé tous les records. Le livre qu’il écrit pour raconter son aventure, la Longue Route, est marqué par l’ivresse d’une solitude maritime. Tout le long de son périple, il prend des photos, filme un autre monde. Les écologiste­s s’étranglero­nt en lisant tout ce qu’il jette à la mer afin d’alléger sa monture. Pourtant, il fut un pionnier en matière d’écologie. Quelques années après la course, il s’installe sur l’atoll d’Ahé dans l’archipel des Tuamotu, où il expériment­e un mode de vie en autarcie. En 1980, il fait publier dans divers journaux une lettre enjoignant les maires de France à planter des arbres fruitiers dans leur commune afin que les enfants jouissent de fruits gratis, promettant une forte récompense au premier édile qui se manifester­a. Il doit un peu insister (sans doute est-on effrayé par l’entretien que cela suppose), mais la chose finit par se faire ici ou là. Moitessier eut une vie bien remplie. Il repose au cimetière du Bono, en Bretagne. Il fut un véritable punk avant l’heure et incarne à mes yeux parfaiteme­nt l’expression « avoir des valeurs ».

Livres de Bernard Moitessier, aux éditions Arthaud : Vagabond des mers du Sud (1960), Cap Horn à la voile (1967), la Longue Route (1971), Tamata et l’alliance (1993).

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