PERPIGNAN
Les Apparences
À Cent Mètres du Centre du Monde / 20 juin - 12 septembre 2021
Que peut la peinture face au déferlement des images dans notre société ? Qu’en est-il de l’image peinte lorsqu’il n’est question que de flux numériques ? En réunissant cinquante peintres inscrits presque exclusivement dans le champ de la figuration, les Apparences permet de se confronter directement à ces questions. Peu d’expositions donnent à voir et à penser le renouvellement actuel de la peinture figurative. Il n’est pas indifférent d’ailleurs que ce soit un artiste, Thomas Lévy-Lasne, lui-même engagé dans ce rapport à la représentation, qui mette en oeuvre un tel projet.
Il s’en dégage une vision, associant différentes générations et formulant une sorte de généalogie plurielle à travers la présence tutélaire des oeuvres de Gasiorowski, Leroy et Aillaud. Elle nous renvoie au désir de saisir le visible, c’est-à-dire d’élaborer une déposition de l’instant dans la durée de la peinture, mettant en dialogue le regard et l’image.
Cette construction, on la trouve pleinement dans les oeuvres de François Boisrond où la pixellisation numérique s’associe à une composition mêlant le cinéma et l’histoire de l’art. Elle se manifeste chez les peintres de la génération suivante avec des stratégies différentes, mais qui renvoient finalement à cette même tension. Tandis que Martine Wallon procède à partir de captures d’écran de films amateurs ou professionnels, que Damien Cadio cherche sur internet des
images qui peuvent devenir tableau à travers le processus pictural, Bruno Gadenne parcourt le monde pour éprouver les jungles et forêts primaires. Dans les peintures d’Eva Nielsen et de Paul Vergier, c’est l’écran qui vient s’intercaler entre le regard et le paysage : photographies sérigraphiées d’architectures étranges chez la première, écran des bâches de serres qui laissent voir la nature dans ses plis et transparences chez le second. Chez Mireille Blanc, le modèle photographique est désigné, représenté pour mieux s’abstraire dans une image qui renvoie à la peinture elle-même. Les peintures de Nazanin Pouyandeh associant détails réalistes, références symboliques et scènes fantastiques, nous présentent une vision énigmatique et inquiétante. On pourrait dire que toutes ces démarches visent à se ressaisir d’une relation à l’image. Dans une époque d’hypervisibilité, elles ménagent un manque, un invisible, intrinsèque au mystère de la représentation. Elles le font souvent avec bonheur comme dans l’étrange paysage sexué de Simon Pasieka et dans le double portrait d’Anthony Vérot, où cette absence résonne entre les figures, étrangères à elles-mêmes et au lieu. Parfois, cette épaisseur de l’image prend le risque de s’épuiser dans des procédés ou de se diluer dans la trop
Anthony Vérot. Conversation Piece. 2014. Huile sur toile oil on canvas. 205 x 190 cm grande confiance accordée au savoirfaire technique. Cette exposition n’en révèle pas moins une résistance protéiforme et pleine de vitalité à l’effacement du regard, des regards par lesquels ne cesse de se réinventer notre rapport au monde.
Romain Mathieu
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What can painting do in the face of the flood of images in our society? What of the painted picture when it is all about digital flows? By bringing together fifty painters working almost exclusively in the field of figuration, Les Apparences allows us to address these questions directly. Few exhibitions allow us to see and think about the current renewal of figurative painting. Indeed, it isn’t without relevance that it is an artist, Thomas Lévy-Lasne, himself engaged in this relationship to representation, who is implementing such a project.
A vision transpires, associating different generations and formulating a sort of plural genealogy through the tutelary presence of the works of Gérard Gasiorowski, Eugène Leroy and Gilles Aillaud. It sends us back to the desire to grasp the visible, that is to say to elaborate a deposition of the instant in the duration of the painting, installing a dialogue between gaze and image.
This construction is fully present in the works of François Boisrond, where digital pixelation is associated with a composition mixing cinema and art history. It is manifest in the painters of the following generation with different strategies, but which finally refer to this same tension. While Martine Wallon proceeds from screen grabs amateur and professional films, Damien Ca
Simon Pasieka. Tunnul. 2020. Huile sur toile oil on canvas. 180 x 300 cm
dio trawls the internet for images that can become paintings through a pictorial process, Bruno Gadenne travels the world to experience jungles and primary rainforests. In the paintings of Eva Nielsen and Paul Vergier, it is the screen that comes between the gaze and the landscape: silk-screened photographs of strange buildings for the former, the screen of greenhouse tarpaulins that let us see nature in its folds and transparencies for the latter. In Mireille Blanc’s work the photographic model is designated, represented in order to be better abstracted in an image that refers to the painting itself. Nazanin Pouyandeh’s paintings, combining realistic details, symbolic references and fantastic scenes, present us with an enigmatic, disturbing vision.
It could be said that all these approaches aim at reclaiming a relationship to the image. In a time of hyper-visibility, they provide a lack, an invisible, intrinsic to the mystery of representation. They often do this with pleasure, as in Simon Pasieka’s strange sexual landscape and Anthony Vérot’s double portrait, where this absence resonates between the figures, alienated from themselves and the place. Sometimes this density of the image runs the risk of being exhausted in processes, or of being diluted in the overconfidence of technical know-how. This exhibition nevertheless reveals a protean resistance, full of vitality, to the erasure of the gaze, the gaze through which our relationship with the world is constantly reinvented.