SAINT-GERMAIN-LA-BLANCHE-HERBE / PARIS
Imec - Abbaye d’Ardenne / 4 juin - 26 septembre 2021
Lorsqu’il arpente les souterrains de l’Imec (Institut Mémoires de l’édition contemporaine), c’est au Terrier de Kafka que pense Jean-Michel Alberola (Algérie/France, 1953). Le lieu lui apparaît comme un réseau qu’il commence à excaver. Travail plastique innervé par le texte, cette oeuvre aux intertextes variés a trouvé dans la figure de l’écrivain l’un de ses « phares » baudelairiens. Les visiteurs ne doivent pas s’attendre à découvrir une exposition d’art contemporain. Comme le dit Nathalie Léger, directrice de l’Imec, l’artiste « expose Kafka », ce qui est différent. L’exposition s’appréhende donc davantage comme un dispositif documental opérant un montage à partir des archives du « nom de Kafka » dans le fonds de l’Imec. On retrouve d’ailleurs le même procédé que pour Cosmos 1939 : Georges Salles / Walter Benjamin, l’exposition qu’Alberola avait conçue au centre Dominique-Vivant Denont du Louvre en 2018, où il tentait de reconstituer l’ultime bibliothèque de Walter Benjamin. À l’abbaye d’Ardenne, se déploie ainsi une reconstitution partielle de la bibliothèque de Kafka (Kierkegaard, Thomas Mann, Knut Hamsun, Goethe, etc.) à partir des éditions originales présentes sur place. Une longue vitrine expose par ailleurs un impressionnant flot d’archives faisant mention de Kafka dans la littérature française. On y découvre, entre autres trésors, ce brouillon d’une lettre d’Anne-Marie Albiach écrit sur des feuillets de la Muraille de Chine ou encore des traces de l’adaptation théâtrale de Jean-Luc Lagarce de Préparatifs d’une noce à la campagne. Quelques oeuvres d’Alberola s’inscrivent dans ce subtil montage : un néon réalisé à partir d’un extrait du Journal, une émouvante lithographie placée sous le signe de la neige et du dénuement, des peintures murales reprenant des fragments de
l’oeuvre. Des fiches de travail de l’artiste sont disposées dans des vitrines : mixtes de dessins et de schémas où se révèle l’inachèvement constitutif d’un travail aussi bien plastique qu’épistémique. La Parole de Kafka, une petite maquette de cabane, rappelle la série entreprise par Alberola et notamment la Parole de Paul Nougé, présentée à la galerie Templon où l’artiste expose en même temps. Heidegger : « Le langage est la maison de l’être. » Ces maquettes à échelle réduite métaphorisent le tremblé du langage et son frottement à l’image. Un ensemble de trois tableaux – sorte de pendant au travail documentaire réalisé à l’Imec – propose une variation autour du territoire symbolique et géographique circonscrit par Kafka et démontre à nouveau à quel point la peinture d’Alberola fonctionne sur le mode du bris, du fragment. On y découvre aussi de nouvelles réalisations de sa série quasi métaphysique le Roi de rien. En vis-à-vis, un relevé du jalon de la modernité qu’est Erased De Kooning Drawing de Rauschenberg témoigne des constellations de l’artiste et de son fourmillement d’idées.
Félix Gatier
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As he wanders through the underground passages of the Imec (Institut des Mémoires de l’édition contemporaine), it is Kafka’s Burrow that comes to the mind of Jean-Michel Alberola (Algeria / France, b. 1953). The place appears to him as a network that he is beginning to excavate. An artwork permeated by text, its varied intertexts have found in the figure of the writer one of its Baudelairian “beacons”. Visitors shouldn’t expect to discover a contemporary art exhibition. As Nathalie Léger, director of the Imec, puts it, the artist ‘exhibits Kafka’, which is different. The exhibition is therefore more of a documentary device, based on the archives under the “name of Kafka” in the Imec’s collection.The same process is used as for Cosmos 1939: Georges Salles /Walter Benjamin, the exhibition that Alberola conceived at the Louvre’s Dominique-Vivant Denont Centre in 2018, where he attempted to reconstitute Walter Benjamin’s ultimate library. At the Ardenne Abbey, a partial reconstruction of Kafka’s library (Kierkegaard,Thomas Mann, Knut Hamsun, Goethe, etc.) is displayed, based on the original editions present on site. A long display case also shows an impressive stream of archives mentioning Kafka in French literature. Among other treasures, we discover a draft of a letter by Anne-Marie Albiach written on sheets of paper from The Great Wall of China and traces of Jean-Luc Lagarce’s theatrical adaptation of Wedding Preparations in the Country. Some of Alberola’s works are part of this subtle montage: a neon light made from an extract of the Diaries, a moving lithograph placed under the sign of snow and destitution, and wall paintings incorporating
Jean-Michel Alberola. Le Fleuve. Exposition show Imec - Abbaye d’Ardenne. (© Michaël Quemener / Imec)
Jean-Michel Alberola. Le Roi de Rien XX. 2020. Huile sur toile oil on canvas. 146 x 114 cm. (Court. galerie Templon)
fragments of the work. The artist’s work documents are displayed in showcases: a mixture of drawings and diagrams revealing the incompleteness of a work that is both plastic and epistemic. La Parole de Kafka [Kafka’s Word], a small model of a hut, recalls the series undertaken by Alberola and in particular La Parole de Paul Nougé [Paul Nougé’s Word], presented at the galerieTemplon, where the artist is exhibiting. Heidegger: “Language is the house of being. “These small-scale models metaphorise the trembling of language and its friction with the image. A set of three paintings—a sort of counterpart to the documentary work done at Imec—offers a variation on the symbolic and geographical territory circumscribed by Kafka, and shows once again the extent to which Alberola’s painting functions in the mode of the broken, the fragment. We also discover new works from his quasi metaphysical series Le Roi de Rien [The King of Nothing]. Opposite, a survey of Rauschenberg’s modern milestone Erased De Kooning Drawing testifies to the artist’s constellations and his teeming ideas.