Art Press

JEAN-MAX MÉJEAN

– DEPARDIEU À CINECITTÀ

- Olivier Rachet

Jean-Max Méjean

Depardieu à Cinecittà

Hémisphère­s, « Ciné-cinéma », 128 p., 15 euros

L’histoire du cinéma regorge de films qui n’ont jamais pu être tournés. Projets avortés, coûts de production démesurés. Il y a les films impossible­s à réaliser, car le cinéma est aussi un monstre industriel insatiable et avide de profits ; et les films rêvés, fantasmés. C’est à cette dernière catégorie que le critique de cinéma Jean-Max Méjean s’attaque dans son roman Depardieu à Cinecittà. Voici le lecteur plongé dans les années 1970, et plus précisémen­t en 1976-77, entre Rome et Paris. Entre les studios de Boulogne-Billancour­t, où Marco Ferreri tourne en compagnie de Gérard Depardieu et d’Ornella Mutti la Dernière Femme, et ceux italiens de Cinecittà, où Fellini achève son adaptation des Mémoires de Casanova et Bertolucci sa fresque historique 1900, en compagnie notamment de Robert De Niro. Le héros des Valseuses, que le narrateur présente comme le « fils solaire adoptif » de Fellini, vient de tourner sous la direction de Ferreri « l’acte le plus symbolique du cinéma après celui d’OEdipe sur ses propres yeux » ; en l’occurrence celui de se trancher le sexe !

Tourné la même année que l’Empire des sens d’Ōshima qui se terminait sur une séquence similaire de mutilation et non d’automutila­tion, le film de Ferreri, boudé à l’époque, résonne étrangemen­t aujourd’hui, à l’heure où un néoféminis­me combattant ne rêve que de châtrer, non plus symbolique­ment mais socialemen­t, les hommes. Grandeur prophétiqu­e du cinéma ! C’est à Rome que l’auteur imagine la rencontre entre le monstre sacré du cinéma français et le réalisateu­r de La Dolce vita et de Il Bidone, lequel se prend à rêver, entre deux plâtrées de pâtes et deux plans séquences, de porter à l’écran la vie du peintre Caravage et d’en confier le rôle-titre à Depardieu. « Il y a de la vie, de la vérité dans ses oeuvres, écrit Méjean, mais aussi beaucoup de mort, de sang, de violence et de sexe. Une grande modernité pour l’époque. Une vie violente, comme la sienne le fut, et courte aussi. C’est ce qui plaît à Gérard, cette crudité plus que la cruauté. » S’il a souvent été souligné que le peintre italien était un précurseur de la photograph­ie et du cinéma, notamment pour les éclairages latéraux qui sont les siens rappelant ceux de projecteur­s et pour sa maîtrise du clair-obscur, les rapprochem­ents qu’imagine Méjean entre Depardieu, Caravage et Fellini sont plus inattendus. « Finalement, ce qui nous réunit ici, à part l’amour du cinéma et de Cinecittà, c’est que nous sommes deux bidonistes », lance ainsi Depardieu au Maestro, suggérant que les relient une même pulsion de vie et de cinéma, une même faim dévorante et dionysiaqu­e que l’on pourrait qualifier de baroque. Mais, derrière la démesure et une certaine forme parfois de grotesque, percent aussi des blessures plus intimes et un sens contenu du tragique. Sans doute la clé de ce roman foisonnant d’imaginatio­n se trouve-telle dans les dernières pages lorsque le comédien français visite, quelques trente ans après, au musée Jacquemart-André, l’exposition bien réelle Caravage à Rome, amis et ennemis et, devant le « rouge cinéma de la tête tranchée » d’Holopherne ou devant le Joueur de luth, se demande qui « était vraiment cet homme qui a passé sa vie à osciller entre l’ange et le démon ? » Comme entre des rôles aussi contradict­oires que le sont ceux d’Obélix ou de l’abbé Donissan dans l’adaptation de Pialat de Sous le soleil de Satan ; tant est grande la distance qui sépare Uderzo et Goscinny de Bernanos. L’amour du septième art, probableme­nt…

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