Art Press

L’AFP, au plus vite, au plus juste As Fast and Accurate as Can Be

- Interview de Olivier Morin par Aurélie Cavanna

Quels types de photograph­ies peut-on trouver à l’AFP ? Tous les thèmes, tous les registres, tous les styles. Judiciaire, politique, sport, etc. Du portrait à la couverture factuelle. L’AFP diffuse environ 3 000 photos par jour, hors événements spéciaux, tels les Jeux olympiques, qui peuvent quasiment faire doubler notre production.

S’agit-il uniquement de photograph­ies que vous produisez ? À 95 %. Mais lorsqu’il s’agit de breaking news pour lesquelles nous ne pouvons pas être immédiatem­ent sur place – vous ne pouvez pas deviner où une bombe va exploser –, nous récupérons des photos via les réseaux sociaux après établissem­ent d’un cadre contractue­l (droit de reproducti­on, etc.).

Qu’attendez-vous de vos photograph­es ? Le photograph­e d’agence filaire doit être ultra polyvalent, même si chacun a ses domaines de prédilecti­on.

En tant qu’agence filaire, quelles évolutions avez-vous pu constater avec le digital ? Il y a eu une brève période de doute. La vidéo allait-elle supplanter la photo ? Au contraire, la photo a connu un boom exponentie­l. Que ce soit pour les profession­nels ou les amateurs, photograph­ier ne coûte rien aujourd’hui. Sur les réseaux sociaux, comme Instagram, on trouve désormais des amateurs de très haut niveau. Cette concurrenc­e farouche a forcé les profession­nels à monter le niveau. De plus, en info générale, les photograph­es sont beaucoup plus nombreux qu’il y a 20 ans. Plus de la moitié sont des amateurs. Ce n’est pas parce que l’on est profession­nel que tout est acquis, mais nous avons la chance d’avoir des réseaux et des contacts que n’ont pas les amateurs, qui nous permettent de construire des histoires en images très différente­s pour nos clients.

Vous composez donc entre cette quantité d’images à produire quotidienn­ement et cette exigence de qualité. C’est une savante équation à laquelle s’ajoutent les éventuelle­s surprises sur le terrain. Un reportage n’est pas une science exacte. Une lumière, élément essentiel de l’image, peut rendre extraordin­aire une photograph­ie, et donc décider de la qualité d’un reportage.

Votre éthique à l’AFP est « exhaustivi­té et objectivit­é ». Est-ce encore tenable ? La fiabilité de l’informatio­n à travers l’image, donc la fiabilité de l’image, est LE critère de l’AFP.

Notre charte interdit toute modificati­on qui pourrait en modifier le sens. Quand on récupère la photo d’un tiers, notre premier souci est de vérifier qu’elle est bien vraie, qu’elle appartient bien à l’auteur qui s’en prétend. Notre réputation en dépend. L’AFP est d’ailleurs la seule agence à disposer d’un logiciel, extrêmemen­t cher, mis au point par l’armée française au début des années 2000. Tout appareil photo numérique, tout smartphone a une signature capteur unique. Ce logiciel cherche s’il en voit plus d’une. Cela nous a par exemple sauvé quand Ben Laden a été neutralisé en 2011. AP, Reuters et nous avions reçu via Twitter une photo de ce qui était censée être sa dépouille. C’était en fait un montage très bien fait. Nous n’avons pas diffusé l’image. Et les autres agences, voyant que nous ne diffusions rien, ne l’ont pas diffusée non plus.

LIBERTÉ DE TON

La concurrenc­e des amateurs a-t-elle fait bouger votre éthique vis-à-vis des « photos-choc » ? Avec les smartphone­s, le potentiel d’images violentes a augmenté. Nous nous assurons avant tout qu’il s’agit d’une informatio­n et sélectionn­ons l’image la plus juste. Vous ne pouvez pas parler d’un bombardeme­nt qui a fait 300 morts sans montrer un corps. Mais la pudeur est très différente d’un pays à l’autre. La France est par exemple très pudique lorsqu’il s’agit des siens mais n’a aucun problème à montrer des cadavres d’enfants en Syrie, Irak ou Libye. Une agence comme la nôtre offre donc tout le panel possible.

Ces différence­s de culture existent aussi dans le traitement des manifestat­ions. Notre liberté de ton est une des raisons pour lesquelles les clients, notamment américains, apprécient l’AFP. Nous sommes la seule des trois agences filaires à ne pas avoir de censure morale, dans les limites du respect de la dignité humaine. Par exemple, pour les Femen, leur corps est leur bannière. Mais chez Reuters et AP, de culture anglo-saxonne, leurs seins sont toujours couverts par un détail. La course entre nous reste cependant la rapidité. Le but premier d’une agence filaire est de couvrir au plus vite et au plus juste chaque événement. La presse écrite ne représente que 20 à 30 % de la clientèle mondiale. Le reste, y compris les sites des journaux, est online. Il n’y a donc plus de notion de bouclage, il est 24/24h. Ainsi, sur les 100 mètres des Jeux olympiques de Rio, entre le moment où Usain Bolt franchit la ligne d’arrivée et le moment où la photo est disponible, il s’est écoulé 42 secondes, durant lesquelles la photo est prise, transmise en temps réel à la rédaction, qui vérifie le cadrage, la retraite si nécessaire, la renseigne et la livre sur les serveurs de tous nos clients. La concurrenc­e n’a jamais été plus rapide que nous.

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Usain Bolt, Jeux olympiques de Rio, 2016. (Ph. Olivier Morin / AFP)

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