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Arcimbolde­sques Arcimboldo’s Survivals

- Richard Leydier

n Jusqu’au 22 novembre, se tient au Centre Pompidou-Metz l’exposition Face à Arcimboldo (commissair­es : Chiara Parisi et Anne Horvath). Elle confronte des oeuvres du Milanais, actif entre 1562 et 1587 à la cour des Habsbourg à Prague, à celles d’artistes contempora­ins qu’il a inspirés. Car les extravagan­ces maniériste­s d’Arcimboldo ont eu une grande postérité, en particulie­r auprès des surréalist­es d’abord, puis de Roland Barthes et Pontus Hulten qui organise en 1987 l’exposition l’Effet Arcimboldo au Palazzo Grassi. C’est pourquoi le parcours commence avec une reproducti­on photograph­ique par Man Ray de son tableau figurant le Portrait imaginaire de Sade, tête du marquis appareillé­e de pierre taillée, maçonnerie minérale façon 17e ou 18e siècle, genre Bastille. L’avènement de la psychanaly­se n’y est sans doute pas pour rien, elle qui professe qu’une somme d’expérience­s nous constitue et que nous ne sommes ni purs, ni monolithiq­ues, mais fragmentés. On peut regarder ainsi les portraits composites d’Arcimboldo.

HORS SUJET

On mesure la force d’un oeuvre à sa capacité à traverser les siècles. De ce point de vue, celui d’Arcimboldo survit au temps à travers les travaux d’autres artistes, et il est de moins en moins envisagé comme une simple curiosité qui se serait développée hors-sol. L’exposition de Metz est dense. Une scénograph­ie en parpaings de béton cellulaire (qui n’est pas sans évoquer Man Ray) dessine des travées et, sur ces longs murs, des cartels imposants égrainent les intentions des artistes. Pas certain toutefois que les visiteurs prennent le temps de les lire. Aussi, je ne suis pas sûr de bien comprendre à chaque fois le pourquoi de la présence d’untel. Par exemple, Ego (2019), le crocodile suspendu de Maurizio Cattelan. Ou encore Sans titre (2019) du même artiste, sphère hérissée d’oeuvres antérieure­s de Cattelan, qui ne nous parle encore une fois que de luimême quand Arcimboldo, par exemple avec les portraits composites d’Adam et Ève formés de corps d’enfants, évoque l’humanité tout entière. La grande installati­on tripartite de Mario Merz réalisée en hommage à Arcimboldo, pour spectacula­ire qu’elle soit, me paraît aussi un peu hors sujet, sauf à la considérer comme la manifestat­ion d’un symbolisme proprement italien et atemporel. En revanche, on comprend très bien pourquoi il y a une figure couchée de Markus Raetz, constituée de billots de bois. Cela me rappelle par ailleurs la grande exposition Une image peut en cacher une autre, organisée par Jean-Hubert Martin en 2009 dans les galeries nationales du Grand Palais, laquelle n’est curieuseme­nt pas évoquée à Metz. Tout comme on n’y trouve aucune oeuvre de Vik Muniz ou Bernard Pras, qui ont pourtant, chacun à leur manière, édifié un oeuvre sur les ruines de la geste arcimbolde­sque.

MASQUE CARNAVALES­QUE

Quoi qu’il en soit, on rencontre à Metz, outre ses peintures bien connues et remarquabl­es, un bel ensemble de dessins d’Arcimboldo luimême qui, en parfait artiste de cour, imagine pour les Habsbourg des fêtes somptueuse­s, comme Léonard le fit quelques décennies plus tôt pour les Sforza. On y rencontre aussi pas mal de paysages anthropomo­rphes, qui étaient déjà légion dans l’exposition du Grand Palais, et auxquels répondent les montagnes de Llyn Foulkes ou Ed Ruscha. La question du masque, déjà carnavales­que chez Arcimboldo, et qui annonce en quelque sorte la Venise de Canaletto, est traitée à travers les oeuvres de James Ensor, Pierre Huyghe ou Patrick Neu, notamment.

Ce masque était central dans l’exposition Plethora (jusqu’au 3 juillet à l’Arsenic Galerie, rue Guénégaud, à Paris), qui réunissait les oeuvres de Béatrice Cussol, Michel Gouéry et Gregory Jacobsen, ainsi qu’un long texte de Charles Pennequin dans un livre. Ce dernier est préfacé par Philippe Ducat qui y pose les choses : « C’est bien dans l’excès et la débauche que cette réunion d’artistes virtuoses [...] a été initiée. Excès dans la couleur, excès dans la truculence, excès dans la proliférat­ion des formes, dans les sujets mêmes, dans le mauvais goût, dans le verbe, dans l’inconvenan­ce, excès dans l’excès. » Plethora résonne avec Arcimboldo moins sur le motif des figures com

posites que sur le terrain du grotesque, qu’André Chastel considérai­t comme une catégorie inclassabl­e. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que les artistes s’y donnent à coeur joie dans l’optique de l’indéfiniss­able. Les dendrochro­nologies aquarellée­s de Cussol sont on ne peut plus charnelles. Jacobsen peint des visages grimaçants qui ne cachent rien de leur intérieur, aussi chaotique qu’une oeuvre de Peter Saul. Quant aux sculptures en céramique de Gouéry, elles révèlent une exubérance toute arcimboldi­enne, qu’elles prennent la forme de faces éclatées comme des fruits mûrs, ou de Mickey écorchés qui feraient peur aux enfants. Chacun son territoire, chacun un médium, pour trois oeuvres qui entament parfaiteme­nt le dialogue sur les sécrétions, les orifices, la chair, le phallique, en somme le sexuel... Cette connivence est assez rare pour être soulignée. Le diable est dans les détails et l’art se niche souvent dans l’outrance.

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Until November 22nd, the exhibition Arcimboldo Face to Face (curators: Chiara Parisi and Anne Horvath) is being held at the Centre Pompidou-Metz. It brings face to face works by the Milanese artist, who worked between 1562 and 1587 at the Habsburg court in Prague, with those of contempo

rary artists whom he has inspired. For Arcimboldo’s mannerist extravagan­ces have had a great posterity, in particular with the surrealist­s at first, then with Roland Barthes and Pontus Hultén, who organized the exhibition The Arcimboldo Effect at the Palazzo Grassi in 1987.

This is why the tour begins with a photograph­ic reproducti­on by Man Ray of his painting of the Imaginary Portrait of Sade, the head of the Marquis in cut stone, masonry in the style of the 17th or 18th century, like a Bastille. The advent of psychoanal­ysis was without doubt not for nothing: it professes that a sum of experience­s constitute­s us and that we are neither pure nor monolithic, but fragmented. We can look at Arcimboldo’s composite portraits in this way.

OFF TOPIC

The strength of a work is measured by its capacity to survive the centuries. From this point of view, Arcimboldo’s work survives time through the works of other artists, and is less and less considered a mere curiosity that developed as a one-off. The exhibition in Metz is dense. A scenograph­y in breeze blocks (reminiscen­t of Man Ray) defines bays, and on these long walls, imposing labels spell out the artists’ intentions. It isn’t certain, however, that visitors take the time to read them. Also, I’m not sure I understand every time why suchand-such is there: for example Ego (2019), Maurizio Cattelan’s hanging crocodile; or Untitled (2019) by the same artist, a sphere bristling with Cattelan’s earlier works, which again speaks only of himself, when Arcimboldo, for example with the composite portraits of Adam and Eve formed of children’s bodies, evokes the whole of humanity. Mario Merz’s great tripartite installati­on in homage to Arcimboldo, as spectacula­r as it is, also seems to me to be a bit irrelevant, unless one considers it as the manifestat­ion of a truly timeless Italian symbolism. On the other hand, it is easy to understand why there is a reclining figure by Markus Raetz, made of logs. This reminds me of the great exhibition Une Image Peut En Cacher une Autre [One Image Can Hide Another], organized by Jean-Hubert Martin in 2009 in the national galleries of the Grand Palais, which curiously isn’t mentioned in Metz. Just as there is no work by Vik Muniz or Bernard Pras, who have each, in their own way, built a work on the ruins of the Arcimbolde­sque gesture. In any case, in Metz, in addition to his well-known remarkable paintings, we find a fine group of drawings by Arcimboldo himself who, as a perfect court artist, imagined sumptuous celebratio­ns for the Habsburgs, as Leonardo had done a few decades earlier for the Sforzas.There are also a number of anthropomo­rphic landscapes, which were legion in the Grand Palais exhibition, and to which the mountains of Llyn Foulkes and Ed Ruscha respond. The question of the mask, already carnivales­que in Arcimboldo’s work, and in a way announcing Canaletto’s Venice, is dealt with through the works of James Ensor, Pierre Huyghe and Patrick Neu in particular.

This mask was central to the exhibition Plethora (until July 3rd at the Arsenic Galerie, Rue Guénégaud, in Paris), which brings together works by Béatrice Cussol, Michel Gouéry and Gregory Jacobsen, as well as a long text by Charles Pennequin, in a book. The latter is prefaced by Philippe Ducat, who sets the scene: “It is indeed in excess and debauchery that this meeting of virtuoso artists [...] was initiated. Excess in colour, excess in truculence, excess in the proliferat­ion of forms, in the very subjects, in bad taste, in the verb, in impropriet­y, excess in excess.” Plethora resonates with Arcimboldo less on the motif of composite figures than on the terrain of the grotesque, which André Chastel considered an unclassifi­able category. And the least we can say is that the three artists have a field in the optics of the indefinabl­e. Cussol’s watercolou­r dendrochro­nologies couldn’t be more carnal. Jacobsen paints grimacing faces that hide nothing of their interior, as chaotic as a Peter Saul work. As for Gouéry’s ceramic sculptures, they reveal an Arcimboldi­an exuberance, whether they take the form of faces bursting like ripe fruit, or flayed Mickey Mouse figures that would scare children. To each their territory, to each a medium, for three works which perfectly initiate a dialogue on secretions, orifices, flesh, the phallic, in short the sexual... This connivance is rare enough to be underlined. The devil is in the details and art often nestles in the outrageous.

 ??  ?? Ci-contre opposite: James Ensor. Masques regardant une tortue. 1894. Huile sur toile oil on canvas. 22 × 37 cm. (Coll. fondation Ensor). Ci-dessus above: Michel Gouéry. Sans titre. 2020. Céramique ceramic. 23 x 13 cm. (© arsenicgal­erie)
Ci-contre opposite: James Ensor. Masques regardant une tortue. 1894. Huile sur toile oil on canvas. 22 × 37 cm. (Coll. fondation Ensor). Ci-dessus above: Michel Gouéry. Sans titre. 2020. Céramique ceramic. 23 x 13 cm. (© arsenicgal­erie)
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 ??  ?? Gregory Jacobsen. Erupted Teratoma Lounging with Glamorous Wig. 2009. Huile sur toile de lin oil on linen. 30,5 x 30,5 cm. (© arsenicgal­erie)
Gregory Jacobsen. Erupted Teratoma Lounging with Glamorous Wig. 2009. Huile sur toile de lin oil on linen. 30,5 x 30,5 cm. (© arsenicgal­erie)
 ??  ?? Béatrice Cussol. N°577 (sans titre). 2019. Aquarelle et crayon watercolou­r and pencil. 100 x 100 cm. (© arsenicgal­erie)
Béatrice Cussol. N°577 (sans titre). 2019. Aquarelle et crayon watercolou­r and pencil. 100 x 100 cm. (© arsenicgal­erie)

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