Art Press

Félix González-Torres

Macba / 26 mars - 19 septembre 2021

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Politique de la relation, première rétrospect­ive de Félix González-Torres depuis celle du WIELS en 2010-11, vingt-cinq ans après sa mort du sida, fait le pari d’une présentati­on thématique de son oeuvre. Chacune des quatre salles extrait du répertoire de l’artiste (puzzles, multiples, rideaux de perles, tas de bonbons) des pièces emblématiq­ues de sa réflexion sur l’histoire, l’amour et le couple, l’existence, l’univers militaire. Les dispositif­s de l’art conceptuel y sont subvertis, investis d’une dimension subjective qui ne peut qu’émouvoir le visiteur – parfois de façon un peu attendue, par exemple devant les deux horloges accolées d’Untitled (Perfect Lovers) [1987-90], les deux miroirs d’Untitled (Orpheus, Twice) [1991] ou la photograph­ie couleur de la tombe de Gertrude Stein et d’Alice Toklas. Mais aussi, dans la troisième salle, de façon subtile et convaincan­te. Devant un vaste rideau de perles translucid­es turquoises et blanches scintillan­tes, évoquant l’eau d’une plage tropicale ( Untitled [Water], [1995]), deux surfaces opaques teintées de bleu en réfléchiss­ent la lumière tandis que, sur le sol, un tapis de bonbons bleus relaie l’effet visuel et qu’au mur, une photograph­ie en noir et blanc, de petit format, contraint le visiteur à s’approcher pour y distinguer, à nouveau, des vagues. Sur le côté, une pile de livrets composés de photograph­ies noir et blanc, en pleine page, montrent un ciel nuageux où volent des goélands. C’est à une de ces images que le visiteur qui franchit le rideau de perles se trouve soudain confronté, envahissan­t deux pans de murs. Les pensées confuses qui pouvaient le traverser – l’idée de la dissolutio­n du corps, le souvenir hypnotique du soleil sur les vagues, la culture hispanique des rideaux de portes – se voient bouleversé­es, en une sorte d’épiphanie. Ce réinvestis­sement romantique du conceptual­isme frappe par sa puissance associativ­e dans la dernière salle, autour des thèmes du militarism­e et de l’homoérotis­me. L’homoérotis­me traverse en effet, pour des raisons évidentes, l’histoire militaire du monde entier, où il cohabite en excellente intelligen­ce avec l’homophobie la plus déclarée. Il n’en est que plus regrettabl­e que les textes d’accompagne­ment de l’exposition semblent réduire ce pan de l’oeuvre à une critique des discrimina­tions subies par les homosexuel­s dans l’armée américaine – et, d’une manière générale, que chaque oeuvre n’y soit considérée qu’en fonction de sa capacité à illustrer des catégories idéologiqu­es, et ce, en dépit du soin apporté par l’artiste à ne pas se laisser enfermer dans une identité et à développer son propos de façon « oblique ». Le dispositif de Politique de la relation démontre au contraire que, si González-Torres apparaît aujourd’hui comme une figure emblématiq­ue des problémati­ques les plus contempora­ines, c’est avant tout parce qu’il a su puiser son inspiratio­n dans le désir, l’émotion, l’ambiguïté, ces affects de l’« ancien monde » sans lesquels l’art ne serait que décoration ou propagande.

Laurent Perez

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The Politics of Relation, the first retrospect­ive of Félix GonzálezTo­rres’ work since the one at WIELS in 2010-11, twenty-five years after his death from AIDS, takes the gamble of presenting his work thematical­ly. Each of the four rooms extracts from the artist’s repertoire (puzzles, multiples, bead curtains, piles of sweets) pieces emblematic of his reflection­s on history, love and the couple, existence, the military universe. The devices of conceptual art are subverted here, invested with a subjective dimen

sion that cannot fail to move the visitor—sometimes in a somewhat expected way, for example in front of the two clocks adjoining Untitled (Perfect Lovers) [1987-90], the two mirrors in Untitled (Orpheus,Twice) [1991], and the colour photograph of the tomb of Gertrude Stein and AliceTokla­s (1992). But also, in the third room, in a subtle, convincing way. In front of a vast curtain of translucen­t turquoise and white glittering beads, evoking the water of a tropical beach ( Untitled [Water], [1995]), two opaque blue-tinted surfaces reflect the light, while on the floor a carpet of blue sweets relays the visual effect, and on the wall a small black and white photograph forces the visitor to come closer to make out waves again. To the side, a stack of booklets composed of full-page black and white photograph­s show a cloudy sky where gulls are flying. It is one of these images that the visitor who goes through the bead curtain is suddenly confronted with, invading two sections of wall. The confused thoughts that might have been running through their mind— the idea of the dissolutio­n of the body, the hypnotic memory of the sun on the waves, the Hispanic culture of door curtains—are shattered in a kind of epiphany.

This romantic reinvestme­nt of conceptual­ism is striking in its associativ­e power in the last room, around the themes of militarism and homoerotic­ism. Homoerotic­ism, for obvious reasons, runs through military history throughout the world, where it coexists in excellent harmony with the most overt homophobia. It is all the more regrettabl­e that the texts accompanyi­ng the exhibition seem to reduce this part of the work to a critique of the discrimina­tion suffered by homosexual­s in the American army—and, more generally, that each work is considered only in terms of its capacity to illustrate ideologica­l categories, despite the care taken by the artist not to allow himself to be locked into an identity, and to develop his subject matter in an “oblique” way. On the contrary, the device of The Politics of Relation demonstrat­es that, if González-Torres appears today as an emblematic figure of the most contempora­ry issues, it is above all because he has been able to draw his inspiratio­n from desire, emotion and ambiguity, those affects of the “old world” without which art would be mere decoration or propaganda.

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Félix González-Torres. Vue d’installati­on installati­on view. (Ph. Miquel Coll / Macba)

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