Art Press

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Richard Fleischer

Survivre à Hollywood

Traduit de l’anglais par Julien Guérif Marest, 436 p., 27 euros

Nicolas Tellop

Richard Fleischer, une oeuvre Marest, 436 p., 27 euros

Deux ouvrages réhabilite­nt l’oeuvre aujourd’hui méconnue du réalisateu­r américain Richard Fleischer.

On a longtemps associé le nom de Richard Fleischer à des production­s spectacula­ires telles que 20 000 Lieues sous les mers (1954), les Vikings (1958) ou, plus tardivemen­t, Soleil vert (1974), tout en constatant son déclin durant les années 1980 au gré de projets de plus en plus indignes de ce qu’on nommerait rapidement un « honnête talent ». Ce serait méconnaîtr­e cinq décennies dans le cinéma scandées par des films aussi complexes qu’audacieux, célébrés régulièrem­ent par nombre de cinéastes tels Bertrand Tavernier, Nicolas Boukhrief, Kiyoshi Kurosawa – cette reconnaiss­ance par les pairs est un signe qualitatif aussi rare qu’indubitabl­e. Même si nous citions la Fille sur la balançoire (1955), le Génie du mal (1959), l’Étrangleur de Boston (1968), les Flics ne dorment pas la nuit (1972) ou Mandingo (1975), le recensemen­t des grands films de Richard Fleischer serait largement incomplet.

La publicatio­n des mémoires du cinéaste intitulés Survivre à Hollywood donne un premier élément de réponse pour comprendre une méconnaiss­ance qui n’a que trop duré : jamais le cinéaste ne cherche à construire sa légende et il met très souvent en avant ceux avec qui il a pu cheminer le temps d’un ou plusieurs films. Dans l’ouverture du volume, il déclare ainsi : « Mon but n’est pas de rendre Hollywood plus glamour qu’il n’est, ou de le salir plus que nécessaire, juste de raconter honnêtemen­t ce que j’y ai vécu. » Et plus loin : « Sur les anciennes cartes, les zones encore inexplorée­s étaient annotées de la mention Ici vivent les monstres. Si quelqu’un était assez téméraire pour tenter de cartograph­ier l’industrie cinématogr­aphique, une telle légende ne serait pas déplacée. »

Même si Survivre à Hollywood suit un fil plus ou moins chronologi­que, il ne vise jamais l’exhaustivi­té : s’il prend son temps pour brosser un portrait truculent de John Wayne avec qui le cinéaste a simplement « failli » tourner, s’il ne nous cache rien des anecdotes assez cocasses qui caractéris­èrent le tournage d’une oeuvrette anecdotiqu­e telle que le Grand Risque (1961), nous n’apprendron­s strictemen­t rien sur la réalisatio­n de plusieurs des grands films cités plus haut. Car, dans la cartograph­ie mentionnée, la visée est ailleurs : il y est question de comprendre comment un film se fait par miracle ou par calcul, par habitude ou par choix. Mieux qu’un tableau complet et structuré, nous découvrons la matière vivante d’un système, de ses accidents heureux ou malheureux, de la part créative imputable au cinéaste ou à ses divers collaborat­eurs. Par-delà les anecdotes, on voit se dessiner les diverses interactio­ns entre un producteur et un réalisateu­r : Howard Hughes, Darryl Zanuck et Dino De Laurentiis ont des approches très différente­s, que le cinéaste sait dépeindre avec un remarquabl­e sens du détail. Ailleurs, l’acteur est au centre des souvenirs de tournage et on retrouve au gré des pages la force de Robert Mitchum, l’élégance désabusée de Rex Harrison ou la démesure d’Orson Welles, décrit comme « un monarque en exil qui se voyait toujours sur son trône ». Les technicien­s peuvent très bien le disputer aux têtes d’affiche le temps d’un récit amusant sur les effets spéciaux sous-marins de l’adaptation de Jules Verne. Même chose pour les musiciens lors de l’enregistre­ment de la bande musicale de l’Extravagan­t Docteur Dolittle (1967).

À l’écrit comme sur l’écran, Richard Fleischer est un brillant narrateur qui donne l’impression au lecteur de saisir l’énergie d’un plateau, le moment où la machine pourrait s’enrayer et redécolle contre toute espérance. On ne trouvera pas dans ce volume si longtemps espéré par nombre de cinéphiles une leçon de cinéma telles celle que nous offrit Sydney Lumet dans Faire un film, mais plutôt une force autobiogra­phique à la Michael Powell d’Une vie dans le cinéma. Notons que le volume est complété par un riche entretien accordé à Michel Ciment et Lorenzo Codelli pour Positif.

SPLIT SCREEN

Parallèlem­ent à Survivre à Hollywood, l’éditeur a eu la riche idée de publier un essai foisonnant, Richard Fleischer, une oeuvre, de Nicolas Tellop. Le titre choisi pourrait sembler neutre mais le fait d’affirmer que ce cinéaste est bien l’auteur d’une « oeuvre » et non de films isolés permet de poser un jalon important dans la reconnaiss­ance par la critique et le grand public. Certaineme­nt à cause de son refus des effets de signature voyants à la Robert Aldrich, Fleischer a longtemps été relégué à l’arrière-plan alors que sa capacité à se réinventer de film en film relève d’un talent aussi certain que précieux.

Le volume est richement illustré par des affiches en pleine page, des photogramm­es de très belle facture, des séquencier­s accompagna­nt des analyses précises. Nicolas Tellop suit un déroulé chronologi­que qui permet au lecteur de comprendre comment un jeune cinéaste de série B a pu réaliser des projets de plus grande ampleur sans pour autant renoncer à expériment­er des possibles plastiques et narratifs innovants comme l’utilisatio­n impression­nante du split screen dans l’Étrangleur de Boston.

À la fin de son autobiogra­phie, Richard Fleischer déclare : « À Hollywood, il semble qu’une ligne ait été tracée dans les sables du temps. Pour la franchir, il suffit d’atteindre 45 ans. Arrivé à ce stade, vous perdez subitement votre talent, votre expérience, votre savoir-faire, votre bon goût et vos connaissan­ces techniques. » On ne vit pas à Hollywood, on y survit.

Jean-Jacques Manzanera

Richard Fleischer. L’Étrangleur de Boston. 1968

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