Robert S. Boynton
Le Temps du reportage Éditions du sous-sol, 685 p., 29 euros
Dans la préface à son anthologie The New Journalism (1973), Tom Wolfe définissait le « nouveau journalisme », genre qu’il a contribué à fonder dans les années 1960 avec, entre autres, Truman Capote, Joan Didion, Norman Mailer, Hunter S. Thompson et Gay Talese, comme une « investigation artistique », à mi-chemin entre l’écriture littéraire et le reportage journalistique, cherchant à concilier la subjectivité de son auteur et le respect scrupuleux des faits. Près de cinquante ans après, Robert S. Boynton, directeur du programme de journalisme littéraire à la New York University et contributeur au magazine New Yorker, fait paraître une impressionnante anthologie, composée d’entretiens avec les plus éminents représentants américains du journalisme littéraire contemporain. Qu’il s’agisse de s’immerger pendant plusieurs mois au sein d’une famille pauvre de Washington ( Leon Dash) ou du Bronx (Adrian Nicole Leblanc), de partager le quotidien des hobos et des immigrants clandestins mexicains (Ted Conover) ou d’explorer des pays marqués par une guerre civile ou l’Apartheid (William Finnegan), les auteurs interrogés ici font tous part du problème essentiel qui se pose à eux : comment rapporter le plus fidèlement possible, à des lecteurs souvent étrangers au monde dépeint par le reportage, la vérité toujours singulière des êtres et des situations reconstituée à partir d’une attention scrupuleuse aux faits et aux vécus des personnes, tout en assumant sa part irréductible de subjectivité ? C’est sans doute à travers un subtil travail de décentrement vis-à-vis de soi, capable d’aiguiser la sensibilité à l’autre tout en marquant la distance nécessaire, que l’on peut faire vivre, selon les mots de Susan Orlean, « une expérience plus riche que celle que suscite le simple reportage factuel ».
Nicolas Poirier