Josée Yvon
Filles-commandos bandées Les Herbes rouges / Le Nouvel Attila, 44 p., 9 euros
« On est au cinéma sur tous les murs n’importe quand. » Qu’est-ce qui soulève chez certains individus – de loin pas les plus nombreux – cette manière de se regarder soi-même comme un personnage de film ou de roman ? Sans doute, avant tout, des formes de marginalité subie ou choisie, du genre de celles qu’accumulent les héroïnes de l’auteure québécoise Josée Yvon (1950-1994) : droguées, voleuses, meurtrières, taulardes, casseuses de gueule en tous genres, Travesties-kamikazes (son premier roman, paru en 1980) ou Filles-commandos bandées. Dans le cadre d’une réédition d’ensemble des oeuvres d’Yvon, ce dernier volume – son premier livre, publié en 1976 – vient de faire l’objet d’une réimpression en fac-similé, augmentée d’une préface, aussi utile qu’élégamment présentée, de Kevin Lambert (auteur en 2018 de l’épatant roman prolétarien gay et québécois Querelle). Sur ses pages roses papier toilette se succèdent, imprimées en rouge, une imagerie sexuelle déroutante (une petite fille de bande dessinée qui se masturbe, assise sur des toilettes ; un travesti photographié par Christer Strömholm ; une pin-up allongée, flingue à la main…) et de brefs récits en vers entrecoupés de slogans-manifestes (« la jouissance féminine soutient l’homosexualité masculine et son appareillage paranoïaque »). On est quelque part dans la poésie de la Beat Generation, mais ça va vite, beaucoup plus vite, et ça tape beaucoup plus fort – avec l’effet d’étrangement du français qu’on parle dans les bars québécois : « pendant que les embaumeurs de l’autre clan tripotent leurs morts / nous les addictes de drogues non encore synthétisées / nous ne nous laisserons pas délaier / nous ne prendrons que le suicide dans la loge // car l’abus est notre seul espoir de prospérité et de jouissance. »
Laurent Perez