Jérôme d’Estais
La Petite Géographie réinventée de Leos Carax
Marest, 216 p., 19 euros
« Le cinéma de Leos Carax, véritable organisme vivant composé d’images, de musiques et de poèmes, fait se télescoper les axes et les directions, modelant ainsi un nouveau cosmos, composé d’une myriade de mondes parallèles. » Jérôme d’Estais esquisse là l’essentiel du projet de son bel essai la Petite Géographie réinventée de Leos Carax : le constat que, par-delà la course fulgurante et comme brisée de ses débuts, à l’époque où les Amants du Pont-Neuf (1991) devenaient un film maudit, puis miraculé, nous sommes bien face à une oeuvre qui a pu se déployer au fil du temps, dans la durée. La forme fragmentaire de l’abécédaire s’avère particulièrement heureuse, au gré d’entrées de tailles diverses, que l’on ait affaire à des mots-clés prosaïques (cabine téléphonique, café…) ou plus évasifs (géographie amoureuse, non-lieu…), car cela correspond à la prose poétique que déploie le cinéma de Carax, entre réfraction du réel et échappées oniriques. Cinéma de poésie à l’évidence que cette oeuvre qui sait transfigurer le clivage qui oppose naturel et artifice par une alchimie dont il a le secret comme viennent d’en témoigner les envolées sublimes de sa comédie musicale Annette. Cinéma amoureux aussi qui « passe par le visage des actrices, de ses muses, statiques quand le partenaire est constamment en mouvement, le visage devant exprimer ce que le corps ou la parole taisent ». L’auteur avait déjà opéré un très fructueux rapprochement entre Henri Michaux et le cinéma d’Andrzej Zulawski. Ici, c’est la poésie de Pierre Reverdy qui innerve l’analyse faite d’observations précises, d’analogies stimulantes, d’inspirations nourrissantes car « Carax a peut-être commencé à habiter le monde, un monde, à partir du moment où il a fait du cinéma ».
Jean-Jacques Manzanera