Art Press

Bernard Blistène, une organisati­on savante du désordre For a Scholarly Organisati­on of Disorder

- Interview par Catherine Millet

Quittant une fonction, on peut tirer le bilan de son action, élargir sa réflexion en toute liberté, et puis entreprend­re de nouveaux projets. C’est exactement ce à quoi se livre ici Bernard Blistène qui quitte la direction du Musée national d’art moderne – où lui succède Xavier Rey que nous rencontrer­ons bientôt – et se voit confier par le Président Macron la mise en place d’un programme de commandes publiques original, « Mondes nouveaux ».

Lorsque tu as pris la direction du Musée national d’art moderne il y a huit ans, tu connaissai­s bien le métier et bien la maison… Oui, et j’ai été presque surpris de découvrir que les questions que l’on se posait étaient les mêmes que lorsque j’y avais été jeune conservate­ur, puis lorsque j’y avais dirigé le départemen­t du développem­ent culturel : place du musée au sein du Centre Pompidou, répartitio­n des responsabi­lités au sein de l’organigram­me, extension potentiell­e du musée, cette dernière question exacerbée par le fait que la collection était devenue immense. Il est probable aussi que les sciences sociales aient joué un rôle de plus en plus important dans la création contempora­ine et que cela ait modifié l’idée que l’on se fait des différente­s fonctions dans la maison. J’aime bien les questions, j’aime bien aussi les réponses. Grâce à une belle complicité avec les deux présidents avec lesquels j’ai travaillé, Alain Seban, puis Serge Lasvignes, j’ai tenté d’y répondre avec les équipes, notamment par le déploiemen­t des collection­s en région et à l’étranger. Le Centre Pompidou Málaga avait été pensé comme une plateforme expériment­ale dont on ne savait pas si elle continuera­it au-delà du premier contrat de cinq ans. Il est toujours bel et bien là. Shanghai aura bientôt cinq ans. Bruxelles est un chantier que j’ai initié, et Massy est un projet essentiel car il agrège à de nouvelles réserves, des espaces

Exposition exhibition César. Centre Pompidou, Paris, 2017-18. (© Centre Pompidou ; Ph. Philippe Migeat)

polyvalent­s ouverts à tous les publics et toutes les expériment­ations.

J’ai aussi tenté de répondre au sein même de son accrochage grâce à beaucoup de rotations et en le « scénograph­iant » autrement. Le musée est certes un lieu de contemplat­ion, mais aussi un lieu d’étude. De ce point de vue, je laisse deux chantiers : la vertigineu­se dation Paul Destribats, 12 000 documents de toutes natures portant sur les avant-gardes historique­s, qui fait comprendre que la création artistique se nourrit de mille choses et que c’est selon cette heuristiqu­e qu’il faut la penser, et l’extraordin­aire donation, mille oeuvres d’art brut, due à la générosité de Bruno et Barbara Decharme. Il y a là une occasion de revisiter notre rapport à l’histoire de l’art, ce que nous avons aimé et ce que nous avons refoulé par le passé, et, pour les équipes, de questionne­r ses outils.

UN CENTRE DE RECHERCHE

Tu as en effet créé dans le parcours de la collection permanente ces salles particuliè­res, périodique­ment renouvelée­s, autour de personnali­tés comme des écrivains qui se sont intéressés à l’art, de grands critiques, de grands marchands. À propos de l’entrée de l’art brut au musée, comment concilies-tu le rapport à l’histoire avec un art qui ignore la filiation, pour lequel n’existe ni la notion d’héritage, ni a fortiori celle de sa remise en cause ? Je connais mal l’art brut, même si j’ai des souvenirs précis du Palais du Facteur Cheval, ainsi que des ouvrages de mon beau-père, Jacques Verroust, qui s’est intéressé à ce qu’il appelait « les singuliers du bord des routes ». Et j’ai l’expérience du musée qui nous met face à la collection d’André Breton dont j’ai reconfigur­é la présentati­on pour qu’elle donne le sentiment d’un lieu de travail, celui de la rue Fontaine… Devant cet ensemble inouï, on se rend compte que les oeuvres les plus habitées sont celles qui sont traversées par les contradict­ions, les rêves, les mystères les plus profonds. Par ailleurs, Daniel Cordier et sa collection si singulière, et bien évidemment Dubuffet font amplement l’histoire même du

musée. Dès lors, on a le devoir de questionne­r l’histoire de l’art, ses limites, ses cloisonnem­ents, ses impasses. On se rappelle le refus de la France d’accueillir la collection d’art brut de Dubuffet qui, par conséquent, a trouvé place à Lausanne. Nous avons décidé qu’au sein de la bibliothèq­ue Kandinsky, où nous avons créé un centre de recherche, nous consacreri­ons un programme spécifique sur ce sujet essentiel.

J’ai le sentiment que c’est justement à travers ces oeuvres de l’art brut que l’on peut interroger ce qui fait oeuvre. Comme tu sais, je suis de ceux qui pensent que c’est « le regardeur » qui fait l’oeuvre (1). C’est parce que je connaissai­s la place du merveilleu­x et de l’irrationne­l dans la pensée et la collection de Breton, les associatio­ns établies par Daniel Cordier, qui tenaient de la morphogénè­se, entre des objets primitifs et des objets d’art contempora­in, et que j’avais étudié le rapport de Wilhelm Uhde à l’art naïf, que j’ai été conduit à considérer qu’il y avait là une matière extraordin­aire et nécessaire. Un travail est donc entrepris qui permettra peut-être de réfléchir aussi à des questions esthétique­s et théoriques dans d’autres domaines, tels que l’anthropolo­gie ou la philosophi­e. La fonction de la recherche est un aspect essentiel du musée auquel la conservati­on est très attachée.

Ce que j’ai d’ailleurs cherché avec l’ensemble des équipes scientifiq­ues du musée, tout en donnant des repères et en respectant des séquences, c’est permettre qu’on fasse des pas de côté, dans des salles qui présentent, outre des dossiers thématique­s, des situations ou des exposition­s d’artistes trop méconnus : souviens-toi du surréalism­e en Égypte, Ernest Mancoba, Bagyi Aung Soe, bientôt entre autres, Leon Ferrari… Ces artistes avaient échappé au récit ô combien parcellair­e et partial de l’art moderne et nous étions plusieurs à vouloir offrir au public la possibilit­é de penser avec eux la modernité dans sa complexité et dans la diversité des discipline­s qui la composent.

Dans le Règne de la séduction, un pouvoir sans autorité (2), Daniel Marcelli fait une distinctio­n qui m’a beaucoup intéressé entre pouvoir et autorité dans notre société. Je crois que le devoir du musée est de faire autorité, et donc expertise, et j’oppose à cela le pouvoir quand il est l’émanation de l’argent. Pour faire autorité, le musée doit s’appuyer sur ce qu’il est et qu’il a valorisé, c’est-à-dire son histoire, autorité du temps long. Le musée ne met jamais assez en avant les raisons de ses choix et cela devrait passer par la transmissi­on, l’éducation. C’est là une façon de résister à l’uniformisa­tion. De plus, le musée permet d’en appeler à diverses formes du savoir.

DANGER D’AMNÉSIE

Tu souhaitais créer au sein du musée une école qui aurait eu pour modèle l’Institut des hautes études en arts plastiques qu’avait créé Pontus Hultén (3). Ce que j’aimais dans le modèle de l’institut, c’est que pour les artistes qui y enseignaie­nt comme

Daniel Buren, Lawrence Weiner ou Ed Ruscha, et qui ont fait découvrir beaucoup de choses à une génération qui est aujourd’hui celle qui occupe la scène, la dimension historique n’était pas niée, elle était au contraire au coeur du travail. Je veux bien qu’on critique l’histoire de l’art, qu’on dise qu’elle est en partie une forme désuète ou qu’elle repose sur des cloisonnem­ents idéologiqu­es – j’ai lu Hans Belting –, mais je sais en même temps qu’il y a un danger d’amnésie. Tout cela est complexe, car nous avons aussi traversé des périodes de remémorati­on – j’aime beaucoup l’oeuvre de Sturtevant –, raison pour laquelle je voulais que cette complexité trouve un ancrage dans le musée, et elle l’a trouvé désormais dans les orientatio­ns de la bibliothèq­ue Kandinsky. De nombreux chantiers y sont ouverts qui vont de la Russie contempora­ine aux questions queer ou à l’étude de la culture graphique des luttes décolonial­es. Ce musée-lieu d’étude a produit de très belles exposition­s, réalisées par des commissair­es avec qui j’ai eu le plaisir de travailler en pleine confiance. Qu’on regarde par exemple le catalogue Beat Generation, ou celui de Préhistoir­e, une énigme moderne (4), voilà des domaines où cette heuristiqu­e a trouvé son plein accompliss­ement.

Mais l’école dont tu rêvais n’a pas vu le jour. Je souhaitais cette école dans une forme sans doute archaïque et très concrète. JeanMax Colard, directeur du Service de la parole, a ainsi proposé d’élaborer des mooc.

Des quoi ? Des mooc, massive open online course, enseigneme­nt à distance qui passe par le numérique et touchent évidemment des publics de tous horizons. J’espère que la bibliothèq­ue Kandinsky sera par contre le lieu où un jour, un enseigneme­nt concret pourra s’inscrire. Je suis en effet préoccupé par le fait qu’il n’y a pas de concomitan­ce entre l’enseigneme­nt universita­ire et ce qui est montré dans les musées. L’école que je souhaitera­is ne dispensera­it pas un enseigneme­nt in abstracto, mais reposerait sur la réalité d’une collection, son histoire, ses temps forts, ses manques, la singularit­é du regard d’un artiste sur une oeuvre de cette collection, etc. Cela me semble d’autant plus important que beaucoup d’oeuvres aujourd’hui, quelle que soit leur qualité, ont été en partie pensées, et sont regardées, de manière quelque peu amnésique. Parce qu’elles ont été créées dans une critique ou du moins une réfutation de l’histoire de l’art, le public les appréhende sans éprouver la nécessité de les inscrire dans l’histoire. Or, fondamenta­lement, un artiste appartient à une histoire pour ce qu’il a vu, pour ce qu’il n’a pas vu, pour ce qu’il dit ou ne dit pas, mais qui l’imprègne. Le révéler est, si j’ose dire, notre mission. Je crois aux spéculatio­ns, à la possibilit­é de développer des hypothèses, de multiples récits, d’établir des connexions auxquelles l’artiste lui-même n’a pas pensé. J’ai toujours gardé une petite carte que Christian Boltanski m’avait envoyée pour un Noël, et au dos de laquelle il avait écrit : « Tu m’apprends toujours quelque chose sur mon travail. »

À ce titre, je suis particuliè­rement attaché à deux exposition­s qui viennent de s’achever, celle d’Hito Steyerl et celle de James Coleman (5). Avec la première, nous avons questionné la fonction sociale et politique du musée, tout en reconnaiss­ant les paradoxes ou les ambiguïtés dans la relation de l’artiste à l’institutio­n. Être dedans ou dehors ? Comment se situer ? Avec Coleman, on est confronté au problème de l’interpréta­tion. Mystérieus­e, son oeuvre est de celles qui ont le plus suscité d’exégèses majeures, avec, en arrière-plan, le théâtre et le cinéma qui interrogen­t le statut de l’image aujourd’hui. Comme tu l’imagines, nous n’avons pas pu respecter au cours des deux dernières années la programmat­ion des exposition­s telle que nous l’avions prévue et je regrette que celles d’Hassan Khan, où toutes les discipline­s s’entremêlen­t pour nous conduire à interroger la relation entre culture populaire et avant-garde, ou d’Alice Neel aient dû être reportées à 2022, parce qu’elles auraient apporté leur pierre à l’édifice que nous avions envisagé pour l’année. À travers Neel, quantité de questions se posent. Pourquoi cette oeuvre a-t-elle été igno

rée si longtemps alors que son auteur a côtoyé les grands artistes de son époque, à commencer par Andy Warhol, et les plus grands critiques, tel Frank O’Hara ? Ne permet-elle pas d’envisager la condition sociale de l’artiste dans l’Amérique d’après-guerre ? Il n’y a donc pas d’un côté des oeuvres hermétique­s parce que complexes et d’autres qui seraient plus faciles à appréhende­r parce que leur médium est plus traditionn­el et son histoire connue. Non, il n’y a pas de différence parce qu’entre les deux, il y a nous : si le Centre Pompidou est une agora, comme on le dit souvent, alors il doit être aussi le lieu de la maïeutique, de la parole, de l’échange. C’est sa singularit­é. J’aimerais retrouver cette époque du Centre quand Gina Pane parmi tant d’autres, y donnait des cours très informels au niveau - 1, que des artistes faisaient visiter des exposition­s en donnant leur propre interpréta­tion des oeuvres, d’une façon moins ordonnée que l’histoire de l’art ne le fait. Une organisati­on savante du désordre. Concernant la pluridisci­plinarité du Centre, souhaitée par le Président Georges Pompidou, il me semble que c’est trop souvent une forme de bonne conscience que l’on se donne, ou du moins qu’il est vain de la chercher systématiq­uement. Ce qui m’intéresse est plutôt d’agréger des projets, de penser ce qu’Isabelle Stengers, qui d’ailleurs se méfie de l’art contempora­in, a appelé « une écologie des pratiques ». Prenons exemple sur la Beat Generation, agrégat de gens qui venaient de territoire­s différents, mouvement qui s’est construit du social, et du politique. Peut-être que dans une époque décrite comme incroyable­ment individual­iste, mon rêve a été de travailler entre théâtre, danse, « poésure et peintrie » (6), en référence à ces grands moments de l’histoire qu’ont été Monte Verità ou encore le Black Mountain College, des phalanstèr­es. Peut-être que ce désir de faire oeuvre ensemble – toujours l’idée de communauté – me manquait et que c’est ce que j’ai essayé de faire au Centre. J’aime ce beau texte de Jean-Luc Nancy dans lequel, à la question « Que faire ? », il répond : « Faire sens » et ajoute « comme faire l’amour… Cela n’arrive que par et pour l’autre (7). » Disons que c’est ce que je vais essayer de poursuivre avec le passionnan­t projet que m’a confié le Président Macron.

MONDES NOUVEAUX Présente-nous ces « Mondes nouveaux ». Tu l’auras remarqué, des « Mondes nouveaux » et pas un Nouveau Monde… Le Président souhaitait aider les créateurs dans le cadre d’un plan de relance de trente millions d’euros qu’il avait arrêté. Il m’a invité à y réfléchir et

je lui ai proposé de rassembler une équipe constituée de huit figures venues d’horizons différents. Il l’a acceptée et même réunie. Nous nous sommes mis au travail et avons rédigé un court texte dans lequel nous soulignons combien la parenthèse qui s’impose à nous depuis plus d’un an et demi sépare bien deux époques. Nous avons même souhaité souligner combien cette période d’entre-deux nous invitait à nous ressaisir pour tâcher de tirer un bilan du passé, dresser un portrait du présent, mais aussi rêver justement de « mondes nouveaux ». Et c’est évidemment parce que nous pensons que les artistes sont les mieux à même de répondre à nos aspiration­s, les acteurs essentiels de nos transforma­tions, les meilleurs interprète­s du tremblemen­t du temps que nous les avons engagés à nous suggérer des projets qu’il nous appartiend­ra de rendre concrets avec eux. Quelque 3 200 projets nous sont arrivés à l’heure où nous discutons toi et moi. C’est dire l’attente et l’enthousias­me ! Des projets touchant à la diversité des discipline­s qui font la création du temps présent, des projets écrits à plusieurs mains. De plus, le Président souhaitait que nous puissions proposer à chaque créateur la possibilit­é d’un dialogue avec un lieu, qu’il s’agisse des différents établissem­ents placés sous l’égide du Centre des monuments nationaux, des espaces du Conservato­ire du littoral ou de tout autre, en fonction des propositio­ns qui seraient faites. Et s’il ne m’appartient pas de dévoiler ici les noms de toutes celles et tous ceux que l’équipe retiendra d’ici le 15 septembre, sache que ces « Mondes nouveaux » que nous appelons de nos voeux verront naître aussi bien une fiction, une scène, un espace, un geste, un objet, une forme, un son… Il ne s’agira pas de commandes publiques au sens où il ne s’agit pas de répondre au besoin d’une institutio­n mais bien d’être à l’écoute d’artistes avec l’idée de les accompagne­r à créer des projets qui ne leur auront pas été commandés mais qu’ils auront initiés de leur plein gré. Cette perspectiv­e me semble essentiell­e car elle vise aussi à établir de nouvelles relations avec celles et ceux qui, conscients que la création est d’abord, comme je le soulignais avec Nancy, une question de sens, se sentent préoccupés par la place de leurs oeuvres dans notre société.

Dans le texte que Ronan de Calan, Lucie Campos, Julien Creuzet, Rebecca LamarcheVa­del, Bruno Messina, Caroline Naphegy, Chloé Siganos, Noé Soulier et moi revendiquo­ns, il est écrit que « les questions de l’apprentiss­age et du savoir, du lien social et du partage, apparaîtro­nt, parmi d’autres, comme des sujets essentiels au coeur d’un monde qui a pour mission de se reconstrui­re ». Comment ne pas vouloir se saisir de l’opportunit­é qui nous est ici offerte d’accompagne­r ces projets ? De leur offrir l’hospitalit­é ? Comment

Antoine Rabany dit Le Zouave. Sculpture Barbu Müller. Fin 19e - début 20e siècle. Pierre de granit granite stone. 40 x 16 x 14 cm. (Donation Decharme ; © Centre Pompidou ; Ph. © César Decharme)

ne pas rêver de permettre aux artistes, qu’ils soient seuls ou à plusieurs, qu’ils croisent de multiples discipline­s qui font le vivant de la création d’aujourd’hui, de les inviter à choisir un lieu, de le faire vivre ou revivre, d’y faire oeuvre, d’y rencontrer ou de créer un public ? D’ailleurs, dans le magnifique texte que cet être d’une humanité exceptionn­elle qu’était Anne Dufourmant­elle avait écrit sur l’Intelligen­ce du rêve, elle regardait bien le rêve comme l’instrument majeur d’une transforma­tion de soi : « On peut rendre fou quelqu’un, disait-elle, en l’empêchant de rêver. On peut aussi sauver sa vie en écoutant ses rêves à temps. »

n1 Principe célèbre énoncé par Marcel Duchamp. 2 Albin Michel, 2012. 3 Créée par Pontus Hultén avec le soutien de la Ville de Paris, l’école a été active de 1988 à 1995. 4 Beat Generation, de juin à septembre 2016, Préhistoir­e, une énigme moderne, de mai à septembre 2019. 5 Hito Steyerl, voir artpress n°488, mai 2021, James Coleman, voir artpress n°489, juin 2021. 6 Poésure et peintrie : d’un art, l’autre, exposition au Centre de la Vieille Charité, Marseille, 1993. 7 Galilée, 2016. 8 Payot, 2012.

Bernard Blistène, Scholarly Organizati­on of Disorder

interview by Catherine Millet

Leaving a position, one can take stock of one’s actions, broaden one’s thinking in complete freedom, and then undertake new projects. This is exactly what Bernard Blistène’s doing here, as he leaves the direction of the Musée National d’Art Moderne—where he is succeeded by Xavier Rey, whom we will meet soon—and is entrusted by President Macron with the implementa­tion of an original programme of public commission­s, “Mondes nouveaux” [New Worlds].

When you took over as director of the Musée National d’Art Moderne eight years ago, you knew the job and the establishm­ent well... Yes, and I was almost surprised to discover that the questions being asked were the same as when I was a young curator there, and then when I headed the cultural developmen­t department: the museum’s place within the Centre Pompidou, the distributi­on of responsibi­lities within the organisati­onal chart, the potential extension of the museum, the latter question exacerbate­d by the fact that the collection had become immense. It’s also likely that the social sciences have played an increasing­ly important role in contempora­ry creation, and that this has changed the idea of the different functions in the museum. I like the questions, I also like the answers.Thanks to the close collaborat­ion with the two presidents with whom I’ve worked, Alain Seban, and then Serge Lasvignes, I’ve tried to answer them with the teams, notably by deploying the collection­s in the regions and abroad. The Centre Pompidou Málaga was conceived as an experiment­al platform, which we didn’t know would continue beyond the first five-year contract. It’s still there. Shanghai will soon be five years old. Brussels is a project I initiated, and Massy is an essential project because it combines new reserves with multi-purpose spaces open to all audiences and all types of experiment­ation.

I’ve also tried to respond to the very nature of the exhibition by rotating it a lot and by “stage designing” it differentl­y.The museum is certainly a place of contemplat­ion, but also a place of study. From this point of view, I leave two projects: the dizzying Paul Destribats donation, 12,000 documents of all kinds on the historical avant-gardes, which allows

us to understand that artistic creation is nourished by a thousand things, and that it’s according to this heuristic that it must be considered; and the extraordin­ary donation, a thousand works of art brut, due to the generosity of Bruno and Barbara Decharme. This is an opportunit­y to revisit our relationsh­ip with art history, what we’ve loved and what we’ve repressed in the past, and for the teams to question its tools.

A RESEARCH CENTRE

You’ve in fact created these special rooms in the permanent collection, which are periodical­ly renewed, around prominent figures such as writers who’ve taken an interest in art, major critics and dealers. On the subject of the entry of art brut into the museum, how do you reconcile the relationsh­ip to history with an art oblivious to filiation, for which there’s neither the notion of heritage nor a fortiori that of its questionin­g? I don’t know much about art brut, even though I’ve precise memories of the Postman Cheval’s Ideal Palace, as well as the works of my father-in-law, Jacques Verroust, who was interested in what he called “les singuliers du bord des routes” [“the peculiar ones of the wayside”]. And I have the experience of the museum, which brings us face to face with André Breton’s collection, the presentati­on of which I’ve reconfigur­ed so that it gives the feeling of a place of work, that of Breton’s studio on Rue Fontaine... Before this extraordin­ary ensemble, one realises that the most inhabited works are those traversed by the deepest contradict­ions, dreams and mysteries. Moreover, Daniel Cordier and his remarkable collection, and of course Dubuffet, are an important part of the museum’s history. Consequent­ly, it’s our duty to question the history of art, its limits, We recall France’s refusal to accept Dubuffet’s collection of art brut, which consequent­ly found a home in Lausanne. We decided that within the Kandinsky Library, where we’ve created a research centre, we’d devote a specific programme to this essential subject. I’ve the feeling that it’s precisely through these works of art brut that we can ponder what makes a work. As you know, I’m one of those who think it’s the viewer who makes the work. (1) It was because I knew the place of the magical and the irrational in Breton’s thinking and collection, the associatio­ns establishe­d by Daniel Cordier, which were akin to morphogene­sis, between primitive objects and contempora­ry art objects, and because I had studied Wilhelm Uhde’s relationsh­ip to naive art, that I was led to consider that there was extraordin­ary, necessary material there. Work is therefore being undertaken that will perhaps also allow for reflection on aesthetic and theoretica­l questions in other fields, such as anthropolo­gy or philosophy.

The research function is an essential aspect of the museum, to which the curators are very attached.

What I’ve tried to do with all the museum’s scientific teams, while providing reference points and respecting sequences, is to allow steps aside, in rooms that present, in addition to thematic dossiers, situations or exhibition­s of artists too little known: remember Surrealism in Egypt, Ernest Mancoba, Bagyi Aung Soe, and soon Leon Ferrari, among others... These artists had escaped the fragmented, biased account of modern art, and several of us wanted to offer the public the possibilit­y of thinking with them about modernity in its complexity and the diversity of the discipline­s that make it up.

In Le Règne de la Séduction: Un Pouvoir sans Autorité [The Reign of Seduction: A Power without Authority], (2) the psychiatri­st Daniel Marcelli makes a distinctio­n that interested me a lot between power and authority in our society. I believe the duty of the museum is to be an authority, and therefore an expert, and I oppose power when it is manifested as money. To be an authority, the museum must rely on what it is and what it has valued, which is to say its history, the authority of the long term.The museum never emphasises enough the reasons for its choices, and this should be done through transmissi­on and education.This is a way of resisting standardis­ation. Moreover, the museum makes it possible to appeal to various forms of knowledge.

DANGER OF AMNESIA

You wanted to create a school within the museum that would have been modelled on the Institut des Hautes Études en Arts Plastiques that Pontus Hultén had created. (3) What I liked about the Institute’s model was that for the artists who taught there, such as Daniel Buren, Lawrence Weiner and Ed Ruscha, who introduced a lot of things to a generation that now occupies the centre stage, the historical dimension wasn’t neglected; on the contrary, it was at the heart of the work. I’m quite happy for people to criticise art history, to say that it’s partly an outdated form or that it’s based on ideologica­l divisions—I’ve read Hans Belting—but at the same time I know there’ a danger of amnesia. All of this is complex, because we’ve also gone through periods of recollecti­on—I am very fond of Sturtevant’s work—which is why I wanted this complexity to find an anchorage in the museum, and it’s now found one in the guidelines of the Kandinsky Library. There are many areas of study open to it, ranging from contempora­ry Russia to queer issues or the study of the graphic culture of decolonisi­ng struggles.This museumplac­e of study has produced some very fine exhibition­s, produced by curators with whom

I’ve had the pleasure of working in total confidence. If you look at the Beat Generation catalogue, for example, or that of Prehistory: A Modern Enigma, (4) these are areas where this heuristic has found its full realisatio­n.

But the school you dreamed of didn’t see the light of day. I wanted this school in a nodoubt archaic, very concrete form. Jean-Max Colard, director of the Service de la Parole [Service of the Spoken Word], proposed developing mooc courses.

What are they? Mooc (massive open online course), distance learning that uses digital technology and obviously reaches people from all walks of life. I hope that the Kandinsky Library will be the place where one day concrete teaching will be able to take place. I am indeed concerned by the fact that there’s no concomitan­ce between university teaching and what’s shown in the museums. The school I’d like to see wouldn’t teach in abstracto, but would be based on the reality of a collection, its history, its high points, its shortcomin­gs, the singularit­y of an artist’s view of a work in this collection, etc. This seems to me to be all the more important because many works today, whatever their quality, have been partly thought of, and are looked at, in a somewhat amnesiac way. Because they were created in the context of a critique or at least a refutation of the history of art, the public perceives them without feeling the need to inscribe them in history. Yet fundamenta­lly, each artist belongs to a history for what they have seen, for what they haven’t seen, for what they say or don’t say, but which permeates them. Revealing it is, dare I say it, our mission. I believe in speculatio­n, in the possibilit­y of developing hypotheses, multiple narratives, of establishi­ng connection­s that haven’t even occurred to the artist. I’ve always kept a little card that Christian Boltanski sent me for Christmas, on the back of which he wrote: “You always teach me something about my work.”

In this respect I’m particular­ly attached to two exhibition­s that have just ended, that of Hito Steyerl and that of James Coleman. (5) With the first, we questioned the social and political function of the museum, while recognisin­g the paradoxes and ambiguitie­s in the artist’s relationsh­ip to the institutio­n. To be inside or outside? How to situate oneself? With Coleman, we’re confronted with the problem of interpreta­tion. Mysterious, his body of work is among those that have given rise to the most major exegeses, with theatre and cinema in the background, pondering the status of the image today.

As you can imagine, over the last two years we haven’t been able to keep to the programme of exhibition­s as we had planned, and I regret that those of Hassan Khan,

where all the discipline­s intermingl­e to lead us to question the relationsh­ip between popular culture and the avant-garde, or of Alice Neel have had to be postponed until 2022, because they would have added their stone to the edifice we had envisaged for the year. Through Neel, many questions arise. Why has this work been overlooked for so long, when its author was in contact with the great artists of his time, starting with Andy Warhol, and the greatest critics, such as Frank O’Hara? Doesn’t it allow us to consider the social condition of the artist in post-war America? So there aren’t, on the one hand, works that are hermetic because they’re complex, and others that are easier to understand because their medium’s more traditiona­l and their history known. No, there’s no difference because between the two there’s us: if the Centre Pompidou is an agora, as is often said, then it must also be a place of maieutics, of speech, of exchange. This is its singularit­y. I’d like to return to the Centre’s days when Gina Pane, among many others, gave very informal classes on level -1, when artists gave tours of exhibition­s and gave their own interpreta­tions of the works, in a less orderly fashion than art history does. A learned organisati­on of disorder.

As for the multidisci­plinarity of the Centre, desired by President Georges Pompidou, it seems to me that it is too often a form of good conscience that we give ourselves, or at least that it is pointless to systematic­ally seek it. I’m more interested in aggregatin­g projects, in thinking about what Isabelle Stengers, who is suspicious of contempora­ry art, has called “an ecology of practices”. Let’s take the example of the Beat Generation, an aggregate of people who came from different territorie­s, a movement that built on the social and the political. Perhaps in an era described as incredibly individual­istic, my dream was to work between theatre, dance, “poeting and paintry”, (6) in reference to those great moments in history that were Monte Verità or Black Mountain College, phalanster­ies. Perhaps I missed this desire to make a work together—always the idea of community—and that is what I tried to do at the Centre. I like this beautiful text by JeanLuc Nancy in which, to the question “What to do?”, he replies: “Make sense” and adds “like making love...This only happens through and for the other”. (7) Let’s say that this is what I will try to pursue with the exciting project entrusted to me by President Macron.

NEW WORLDS

Present these “New Worlds” to us. You’ll have noticed, “New Worlds” and not a New World... The President wanted to help creators as part of a thirty million euro recovery plan that he had decreed. He invited me to think about it, and I proposed that he put together a team of eight figures from different background­s. He agreed and even brought us together. We set to work and wrote a short text in which we underlined how much the parenthesi­s that has been imposed on us for more than a year and a half separates two eras. We even wished to emphasise how much this period of in-between time invited us to take stock of the past, to draw up a portrait of the present, but also to dream of ‘new worlds’. And it’s obviously because we believe that artists are the best able to respond to our aspiration­s, the essential actors of our transforma­tions, the best interprete­rs of the tremors of time, that we’ve asked them to suggest projects that it will be up to us to make concrete with them.

Some 3,200 projects have arrived as we speak. That shows the anticipati­on and enthusiasm! Projects touching on the diversity of discipline­s that make up the creation of the present time, projects written by several hands. Moreover, the President wanted us to offer each creator the possibilit­y of a dialogue with a place, whether it be the various establishm­ents under the aegis of the Centre des Monuments Nationaux, the spaces of the Conservato­ire du Littoral or any others, depending on the proposals that would be made. And while it isn’t my place to reveal the names of all those whom the team will select between now and September 15th, you should know that these “New Worlds” that we’re calling for will see the birth of a fiction, a scene, a space, a gesture, an object, a form, a sound...These won’t be public commission­s in the sense that they won’t be responding to the needs of an institutio­n, but rather listening to artists with the idea of supporting them in creating projects that haven’t been commission­ed, but that they’ve initiated of their own free will. This perspectiv­e seems essential to me because it also aims to establish new relationsh­ips with those who, aware that creation is first and foremost, as I emphasised with Nancy, a question of meaning, feel concerned about the place of their works in our society.

In the text that Ronan de Calan, Lucie Campos, Julien Creuzet, Rebecca Lamarche-Vadel, Bruno Messina, Caroline Naphegy, Chloé Siganos, Noé Soulier and I have authored, it’s written that “the questions of learning and knowledge, of social connecting and sharing, will appear, among others, as essential subjects at the heart of a world whose mission is to rebuild itself.t How can we not want to seize the opportunit­y offered to us here to support these projects? To offer them hospitalit­y? How can we not dream of allowing artists, whether they are alone or in groups, whether they cross multiple discipline­s that make up today’s creative life, of inviting them to choose a place, to make it live or revive it, to make a work there, to meet or create an audience? Moreover, in the magnificen­t text that Anne Dufourmant­elle had written on “the intelligen­ce of dreams”, (8) she looked at dreams as the major instrument of self-transforma­tion: “You can drive someone crazy, she said, by preventing them from dreaming. You can also save your life by listening to your dreams in time.”

Translatio­n: Chloé Baker

1 Famous principle stated by Marcel Duchamp. 2 Albin Michel, 2012 (not translated). 3 Created by Pontus Hultén with the support of the City of Paris, the school was active from 1988 to 1995. 4 Beat Generation, from June to September 2016; Prehistory: A Modern Enigma, from May to September 2019. 5 Hito Steyerl, see artpress n°488, May 2021; James Coleman, see artpress n°489, June 2021. 6 Poésure et Peintrie : D’un Art, l’Autre [Poeting and Paintry: From One Art to Another], exhibition at the Centre de la Vieille Charité, Marseille, 1993. 7 Galilée, 2016 (not translated). 8 Payot, 2012 (not translated).

Bernard Blistène

1954 Naissance à born in Paris

1983 Conservate­ur au curator at the Musée national d’art moderne, Centre Pompidou, Paris

1990 Directeur des director of Musées de Marseille 1997 Directeur du director of départemen­t du développem­ent culturel du Centre Pompidou, Paris 2013 Directeur du director of Musée national d’art moderne, Paris

2021 Président du president of the programme « Mondes nouveaux » au sein du Ministère de la culture at the Ministry of Culture

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Exposition exhibition James Coleman. Centre Pompidou, Paris, 2021. (© Centre Pompidou ; Ph. Audrey Laurans). Bernard Blistène. (Ph. Philippe Migeat)
De haut en bas from top: Exposition exhibition James Coleman. Centre Pompidou, Paris, 2021. (© Centre Pompidou ; Ph. Audrey Laurans). Bernard Blistène. (Ph. Philippe Migeat)
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 ??  ?? Parcours Paul Destribats. Petits papiers du 20e siècle. Vue de l’exposition exhibition view. Centre Pompidou, Paris, 2021-22. (© Centre Pompidou, MNAM
CCI / Bertrand Prevost)
Parcours Paul Destribats. Petits papiers du 20e siècle. Vue de l’exposition exhibition view. Centre Pompidou, Paris, 2021-22. (© Centre Pompidou, MNAM CCI / Bertrand Prevost)
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 ??  ?? Alice Neel. Andy Warhol. 1970. Huile et acrylique sur toile de lin oil and acrylic on linen canvas. 152,4 x 101,6 cm. (Coll. Whitney of American Art, New York)
Alice Neel. Andy Warhol. 1970. Huile et acrylique sur toile de lin oil and acrylic on linen canvas. 152,4 x 101,6 cm. (Coll. Whitney of American Art, New York)

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