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Olivier Rachet
Mes Arabes, un chant d’amour postcolonial Tinbad, « Chant », 164 p., 19 euros
Il est rare qu’un auteur prévienne aussi brutalement ses lecteurs : « Ce livre appelle l’autodafé. » Le titre, Mes Arabes, choisi par Olivier Rachet, annoncerait-il un brûlot idéologico-politique qu’il conviendrait de détruire par le feu ? Qui, alors, craquerait l’allumette ? C’est la question que j’ai posée à son auteur, suivie de quelques autres : pourquoi « mes » Arabes et pas « les » ? Un « chant d’amour », le sous-titre n’annonce-t-il pas un récit largement autobiographique ? JH
Deux idées m’ont retenu. La poursuite des supplices, mais par d’autres moyens, tout d’abord. Si l’Inquisition catholique a pu imaginer de brûler par le feu les hérétiques, force est de constater qu’une telle envie de supplice se perpétue à travers les siècles. Les nazis ont sans doute été les premiers au 20e siècle à avoir renoué avec une telle pratique alliant obscurantisme et barbarie. Il me semble qu’on assiste depuis quelques temps à un retour en grâce de telles mascarades, car c’est le second point qui me paraît intéressant dans le choix de ce mot : l’autodafé est aussi une mise en scène, une théâtralisation de la pulsion de mort. Il ne suffit pas de prendre les armes pour être un criminel en puissance. L’intolérance a besoin de se manifester publiquement, grotesquement.
Mon livre n’est pas un pamphlet. S’il débute par quelques rappels historiques – massacres de Charonne du 8 février 1962, matraquage à mort de l’étudiant Malik Oussekine le 6 décembre 1986 ou assassinat en Algérie du poète et chanteur berbère Matoub Lounès le 25 juin 1998 –, mon intention n’est pas d’incriminer l’Occident ou de partir en guerre contre une idéologie française que d’aucuns considèrent comme étant immuable. L’idée d’une « France moisie » est aussi éloignée de moi que celle d’une France éternelle, fille aînée de l’Église ou celle plus moderne de « Patrie des droits de l’homme ». Sans doute n’estil pas anodin que figure, dès les premières pages, la mention de Lucrèce et de son De natura rerum. Non seulement pour son évocation des bûchers montés à la hâte lors de la peste d’Athènes, mais aussi pour son matérialisme qui n’était pas encore historique. Je conçois davantage l’Histoire comme le terrain de luttes incessantes entre des forces antagonistes et ne crois ni en un camp du Bien ni en un camp du Mal. Je ne suis le porte-parole de personne. Mes Arabes ? Le titre me paraît embarrasser beaucoup plus les lecteurs que son auteur. Si l’on s’en tient à l’évolution même du nom, dont je rappelle à grands traits l’histoire à partir d’un emprunt au Dictionnaire historique de la langue française, on perçoit combien le terme d’« arabe » est fluctuant. Sans doute n’est-il pas dénué de préjugés puisqu’on a tendance à le confondre avec celui de « musulman », ignorant par là-même qu’il est aussi des Arabes chrétiens ou de confession juive, et oubliant que la majorité des musulmans se trouve aujourd’hui en Asie. Dans le monde politiquement correct qui est le nôtre, le terme d’« arabe » a supplanté les mots à connotation raciste, mais le fond est souvent le même. Reste l’emploi du possessif qui semble en étonner plus d’un. Loin de moi l’idée de m’approprier quelque héritage que ce soit ou de rejouer le paternalisme colonial. Si vous rapprochez le possessif du sous-titre évoquant « un chant d’amour », il me semble que la dimension hypocoristique, affectueuse, du titre devient évidente.
RELIGION ET CIVILISATION
Il est bien entendu question d’islam dans mon livre. Mais d’islam et d’Islam. De la religion et de la civilisation arabo-musulmane ou araboislamique. D’islamisme aussi, dont le discours imprécatoire et dévoyé ne pouvait pas être totalement passé sous silence, d’où des passages en italiques qui ponctuent le livre, dans lesquels j’essaie de m’immiscer dans la tête de terroristes grâce à l’entremise du monologue intérieur. Mais ce vers quoi tend l’ouvrage concerne davantage la poésie en langue arabe ou persane, comme ces deux idiomes étaient communément utilisés par des poètes médiévaux tels qu’Omar Khayyam. Je cite abondamment des extraits de la poésie arabo-andalouse qui a prospéré pendant plusieurs siècles et dont la dimension lyrique préfigure déjà celle de la poésie courtoise occitane. Il est aussi une tradition satirique, bachique, voire hérétique de la poésie en langue arabe que nous continuons de méconnaître, à moins que nous ne feignions pour des raisons idéologiques de l’ignorer sciemment !
La première personne s’est imposée d’ellemême. Sans doute me permet-elle d’éviter ou de contourner le piège des idéologies que je renvoie dos à dos. Comment entendre quelque chose à ce qui nous arrive si le débat se cristallise autour d’une opposition stérile, et en un sens belliqueuse, entre islamofascisme d’un côté et islamogauchisme de l’autre ? Dire Je est une façon de naviguer, non sans heurts, au milieu de tous les discours de savoir et de non-savoir qui nous abrutissent. J’invite le lecteur à faire un pas de côté, à se décentrer ; ce à quoi invite le discours poétique. Le sous-titre du livre, Un chant d’amour postcolonial, au-delà de l’hommage rendu à Jean Genet, exprime aussi mon détachement par rapport à toute une pensée décoloniale dont le caractère vindicatif ne me dit rien qui vaille. Les héritages ne sont pas à déconstruire ou à défaire, tous les liens sont à retisser. D’où, au final, mon apologie de la lecture à laquelle ce livre peut se résumer. Quant aux confessions d’ordre sexuel, elles ne sont là que pour signaler une présence, témoigner.
Olivier Rachet. (© Ziad Naitaddi)