Marie Darrieussecq
Pas dormir P.O.L, 320 p., 19,90 euros
L’insomnie est comme l’araignée sur l’objectif du télescope qui horrifie Tintin dans l’Étoile mystérieuse. Elle étend de toutes ses pattes sa masse épaisse, obscure et absorbante, prend toute la place et condamne peu à peu toute issue. Elle enserre, enferme dans la ronde infernale des temps blancs, de la fatigue, des peurs, des gris-gris, des addictions (l’alcool, les somnifères), des vaines consultations des techniciens du sommeil et des dérives du « cerveau en détresse ». Elle prive d’une régulation naturelle mais aussi d’une norme sociale. La nuit plonge l’insomniaque dans la confusion, la noirceur insondable. Tout dort autour de lui et cette exclusion le marginalise et le culpabilise. Il n’est plus que ce vaste réceptacle où tout se déverse et d’où rien ne s’échappe. Depuis vingt ans, l’insomnie ronge comme un acide les nuits de Marie Darrieussecq. Quelle est son origine ? En a-telle une ? Est-elle une adversité avec laquelle la coupure est totale ? Faut-il alors accepter la défaite et s’arranger tant bien que mal avec cet état de fait ? Ce livre est l’aboutissement d’un voyage dans les multiples ramifications de ce questionnement toujours grandissant. Darrieussecq s’appuie sur deux traceurs, l’un autobiographique, l’autre littéraire. D’un côté, elle se débarrasse de tous les enduits artificiels pour montrer sa fragilité et les implacables météorites qui frappent son quotidien. De l’autre, à travers anecdotes et citations, elle appelle à la rescousse les écrivains « champions » de l’insomnie (la littérature « sur tous les continents » en a produit beaucoup). Deux traceurs qui se croisent, s’entrechoquent et s’éclairent mutuellement. Pas dormir laisse ainsi entrevoir à la fois une vertigineuse investigation littéraire et une fréquentation intime de gouffres effrayants.