Thomas Giraud
Avec Bas Jan Ader La Contre allée, 192 p., 18 euros
Quand la frime d’un jeune artiste devient-elle oeuvre ? Baudelaire portait les cheveux verts, Bas Jan Ader (19421975) ne s’habillait qu’en bleu ; la trajectoire du second s’est interrompue trop tôt pour constituer un véritable corpus mais, dans sa fulgurance, elle illustre avec éclat le moment où, consciemment, « les attitudes deviennent formes ». Le roman de Thomas Giraud Avec Bas Jan Ader, tout entier rédigé à la deuxième personne, découpe dans cette brève biographie quelques moments saillants, tendus entre ces deux extrémités que sont la mort du père, pasteur résistant et protecteur de juifs persécutés, fusillé alors que Bas (qui porte son prénom, Bastiaan) n’a que deux ans et demi, et la disparition de l’artiste dans l’océan Atlantique, qu’il avait entrepris de traverser sur un minuscule voilier. À l’ombre trop imposante de ce père, Ader oppose une sorte d’héroïsme du dérisoire, dont il creuse la formule sans y appuyer, à l’exemple de cette unique page blanche sur laquelle il dessine et qu’il gomme, inlassablement, pendant toute une année d’études en école d’art. La présence physique de cette immense silhouette dégingandée marque inévitablement les esprits ; il la désarme en se filmant en train de pleurer à chaudes larmes, sans dire pourquoi. La singularité d’Ader s’inscrit dans l’écart historique qui séparent ses Chutes du Saut dans le vide d’Yves Klein : les chutes d’Ader n’ont pas l’élégance du vol de Klein (qui n’est, somme toute, qu’un photomontage) mais il tombe pour de vrai, il se fait mal, ce n’est pas très beau à voir donc un peu raté. «Tu ne peux être qu’une étape avant autre chose », écrit Giraud, et ce refus de conclure, cette installation résolue dans le moment indécis de la chute ou de l’accident font de l’art d’Ader un pur bloc de liberté.