Art Press

Marina Abramović & Ulay / Delphine Balley / Jasmina Cibic / Hélène Hulak / Christine Rebet

Musée d’art contempora­in / 15 septembre 2021 - 2 janvier 2022 LYON

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Le Musée d’art contempora­in de Lyon a ouvert début septembre une nouvelle salve d’exposition­s réparties sur les différents étages du bâtiment de Renzo Piano. Celui consacré à Christine Rebet (France, 1971, commissari­at : Marilou Laneuville) mêle dessins et vidéos projetées dans des petites maisons construite­s pour l’occasion. On chemine donc dans une sorte de village qui n’est pas sans rappeler l’inquiétant Twin Peaks de David Lynch. D’autant que le premier film, Brand Brand News (2005), avec sa bande-son entêtante, tourne autour de l’esprit américain. Au départ, il y a des dessins, qui deviennent des animations. Les thèmes sont divers, qu’ils touchent aux dictateurs, à l’aristocrat­ie, au passé colonial, mais tous portent sur le potentiel de métamorpho­se inhérent au dessin. En cela, le film le plus récent, Breathe in Breathe Out (2019) n’est finalement pas très éloigné des travaux de Blu, street artist bien connu dont les films en stop motion sont réalisés à partir de dessins in situ ( Big Bang Boom, par exemple).

On a pu voir il y a quelques années les photograph­ies de Delphine Balley (France, 1974) à Lyon à la galerie Le Réverbère ou à Paris chez Suzanne Tarasiève, mais c’est là sa première exposition dans un musée (commissari­at : Agnès Violeau). Elle y montre des photograph­ies, des films, mais aussi des sculptures, ce qui est nouveau – notamment d’étranges monolithes de cire et de marbre. L’ambiance Twin Peaks / David Lynch y est d’autant plus prégnante à travers la scénograph­ie, les lourds rideaux de velours rouge omniprésen­ts dans les photograph­ies, mises en scène d’objets désuets, céramiques, escarpins, robes anciennes, tapisserie­s surannées, verres à pied, qui semblent directemen­t tirés de souvenirs d’enfance, et qui sont exposés comme dans les natures mortes hollandais­es, celles de Willem Claesz Heda, par exemple. Les rideaux sont d’ailleurs le « fil rouge », si l’on peut dire, de l’exposition. Un peu comme dans les Envoûtés de Witold Gombrowicz, où les protagonis­tes du roman sont terrifiés par un simple linge agité par le vent. L’exposition est structurée autour de trois films ( le Pays d’en haut, 2013, Charivari, 2016, le Temps de l’oiseau, 2021), dont le dernier inédit, qui tous portent sur le huis-clos familial. Ils montrent d’étranges cérémonies, dont la finalité apparaît peu claire. À ce titre, on songe aux Impression­s d’Afrique de Raymond Roussel. Roussel, Lynch, mais aussi Stanley Kubrick, car le sentiment d’oppression rappelle la partie fine d’Eyes Wide Shut dans le manoir de la bonne société new-yorkaise. Les photograph­ies naissent de l’univers filmique. Les objets semblent y prendre le pouvoir, même quand ils sont manipulés par des humains. D’où un côté Stephen King aussi ( Bazaar). Balley vit et travaille dans le Vercors, plateau où la sensation d’enfermemen­t s’éprouve peut-être plus qu’ailleurs. Ses premières photograph­ies ont mis à contributi­on les membres de sa famille, les habitants de son village et des amis.

Le musée expose aussi le nouveau film de Jasmina Cibic (Slovénie, 1979, commissari­at : Mathieu Lelièvre). Intitulé The Gift, et projeté en mode multi-écrans, il s’attache à l’image que se donne le pouvoir. L’ambiance est très « ex-Europe de l’Est ». La réalisatio­n est parfaite. Presque trop. Du coup s’impose une certaine froideur. On en regrette les bricolages de Christine Rebet. Le Mac Lyon possède de nombreux travaux de Marina Abramović & Ulay. Intitulée Performanc­es 1976-1988, cette exposition les extirpe des réserves, et c’est un réel plaisir de revoir des oeuvres célébrissi­mes comme Imponderab­ilia (1977-99), où ils se tiennent nus, debout, dans l’encadremen­t d’une porte, les visiteurs se frayant un passage entre leur deux corps, ou AAA!AAA (1978-99), où ils se hurlent littéralem­ent dessus. Mais surtout, on s’aperçoit que la performanc­e d’Abramović consistant à se tenir assise face à des visiteurs, au Guggenheim de New York, les deux artistes l’avaient réalisée des dizaines de fois et aux quatre coins du monde, en particulie­r au Mac Lyon en 1986. L’art d’Abramović & Ulay était vraiment une métaphore du couple, de l’amour et de la confrontat­ion musclée à laquelle ils conduisent parfois. Alors, qu’elle fasse la même chose en solo perd finalement un peu en saveur.

Un mot sur Hélène Hulak (France, 1990) qui accroche ses oeuvres, confrontée­s à celles de Mel Ramos, dans l’entrée du musée (commissari­at : Lelièvre encore). Elle s’intègre dans un programme intitulé « Crossover ». On pénètre désormais dans le musée côté cinéma, par la rue intérieure de la Cité internatio­nale. On perd alors la majesté du parc de la Tête d’or. Et tomber immédiatem­ent sur ces dessins en trois dimensions ne favorise pas tellement le sentiment d’accueil.

Richard Leydier

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At the beginning of September the Musée d’Art Contempora­in in Lyon opened a new series of exhibition­s spread over the different floors of Renzo Piano’s building.The one devoted to Christine Rebet (France, b. 1971, curator: Marilou Laneuville) combines drawings and videos projected in small houses built for the occasion. We thus walk through a sort of village that is reminiscen­t of David Lynch’s disturbing Twin Peaks. Especially since the first film, Brand Brand News (2005), with its heady soundtrack, revolves around the American psyche. At the beginning there are drawings, which become animations. The themes are diverse, from dictators to aristocrac­y to the colonial past, but they are all about the potential for metamorpho­sis inherent in drawing. In this respect, the most recent film, Breathe in Breathe Out (2019), is not far removed from the work of Blu, a well-known street artist whose stop-motion films are made from drawings in situ ( Big Bang Boom, for example).

A few years ago we saw photograph­s by Delphine Balley (France, b. 1974) in Lyon at the galerie Le Réverbère, and in Paris at Suzanne Tarasiève’s, but this is her first exhibition in a museum (curator: Agnès Violeau). She shows photograph­s, films, but also sculptures, which is new—notably strange monoliths of wax and marble. The atmosphere of Twin Peaks / David Lynch is all the more evident in the scenograph­y, the heavy red velvet curtains

Jasmina Cibic. The Gift. 2021. Installati­on vidéo sur 3 écrans on 3 channels.

(Court. l’artiste © Oscar Niemeyer)

that are omnipresen­t in the photograph­s, the staging of oldfashion­ed objects, ceramics, court shoes, old dresses, old-fashioned tapestries, stemmed glasses, which seem to be taken directly from childhood memories, and which are exhibited as in Dutch still lifes, those of Willem Claesz Heda, for example. The curtains are the “red thread”, so to speak, running through the exhibition. A bit like in Witold Gombrowicz’s Possessed, where the novel’s protagonis­ts are terrified by a simple cloth being blown by/in the wind. The exhibition is structured around three films ( Le Pays d’en haut [Upper Country, 2013]; Charivari [Skimmity-Ride, 2016]; Le Temps de l’Oiseau [The Time of the Bird, 2021]), the last of which is unpublishe­d, all of which deal with the behind-closed-doors of family life.

They feature strange ceremonies, the purpose of which seems unclear. In this respect, one is reminded of Raymond Roussel’s Impression­s of Africa. Roussel, Lynch, but also Stanley Kubrick, because the feeling of oppression reminds us of the fine part of Eyes Wide Shut in the high society New York mansion. The photograph­s are born of the filmic universe. Objects seem to take over, even when they are manipulate­d by humans. This also has a Stephen King feel to it ( Bazaar). Balley lives and works in the Vercors, a plateau where the feeling of confinemen­t is perhaps felt more than elsewhere. His early photograph­s were staged with the help of family members, villagers and friends.

The museum is also exhibiting a new film by Jasmina Cibic (Slovenia, b. 1979, curator: Mathieu Lelièvre). Entitled The Gift, and projected in multi-screen mode, it focuses on the image that power gives itself.The atmosphere is very “ex-Eastern Europe”. The direction is perfect: almost too much so. As a result, a certain coldness is imposed. One regrets Christine Rebet’s tinkering.

The Mac Lyon has many works by Marina Abramović & Ulay. Entitled Performanc­es 1976-1988, this exhibition brings them out of storage, and it is a real pleasure to see again such famous works as Imponderab­ilia (1977-99), where they stand naked in a doorway, with visitors making their way between their two bodies, and AAA!AAA (1978-99), where they literally scream at each other. But above all, we realise that Abramović’s performanc­e of sitting in front of visitors at the Guggenheim in New York had been done dozens of times and all over the world, most notably at Mac Lyon in 1986. Abramović & Ulay’s art was really a metaphor for the couple, for love and the muscular confrontat­ion to which they sometimes lead. So for her to do the same thing as a solo artist loses some of its savour.

A word about Hélène Hulak (France, b. 1990), who hangs her works in the museum’s entrance hall (curator: Lelièvre again), alongside those of Mel Ramos. It is part of a programme entitled “Crossover”. From now on, one enters the museum from the cinema side, through the interior street of the Cité Internatio­nale.You lose the majesty of the Parc de laTête d’Or. And coming across these three-dimensiona­l drawings immediatel­y does not make you feel very welcome.

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Delphine Balley. Faire les morts. 2019. Série series Figures de cire. Photograph­ie à la chambre large format photograph. 110 × 140 cm. (Court. l’artiste).
Marina Abramović & Ulay.
La Collection : performanc­es 1976-88. Vue de l’exposition show view Mac Lyon, 2021-22. (Court. Marina Abramović Archives ; Ph. Blaise Adilon)
De haut en bas from top: Delphine Balley. Faire les morts. 2019. Série series Figures de cire. Photograph­ie à la chambre large format photograph. 110 × 140 cm. (Court. l’artiste). Marina Abramović & Ulay. La Collection : performanc­es 1976-88. Vue de l’exposition show view Mac Lyon, 2021-22. (Court. Marina Abramović Archives ; Ph. Blaise Adilon)

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