Éric Tabuchi et Nelly Monnier. Empire et Galaxie
Villa du Parc / 4 septembre - 19 décembre 2021
À lire le titre de l’exposition d’Éric Tabuchi (1959, France) et Nelly Monnier (1988, France), Empire et Galaxie, difficile d’imaginer qu’il cache des photographies du territoire savoyard qu’ils ont exploré, en voiture ou à pied, lors d’une résidence au centre d’art contemporain la Villa du Parc d’Annemasse. On pense plutôt à Star Wars. Empire est en fait le nom d’une des salles du Macumba, célèbre boîte de nuit désormais fermée, et Galaxie celui d’un bar-PMU restaurant, mal en point mais toujours ouvert. Ce titre dit beaucoup du projet au long cours dont font partie ces photographies : leur Atlas des régions naturelles, 25 000 images prévues sur 10 ans. Depuis 2017, ce couple d’artistes s’est en effet donné pour mission de représenter tout le territoire français, y compris – et surtout – les zones et architectures vernaculaires habituellement boudées, avec comme protocole 4-5 jours (ni trop ni pas assez) pour 50 images de chacune de ces 450 à 500 « régions naturelles ». Car l’ARN se base bien sur des cartes, mais pas celles administratives des départements. À échelle vécue, les leurs sont empiriques, découpées au gré des cultures et de la géologie. La rigueur documentaire y est relative. En témoigne le site internet de l’ARN lancé en 2020 lors d’une exposition au CCC OD de Tours : on navigue sur cette base de données par forme, couleur, cadrage, thème (dont dépôt de bilan) ou série (mention spéciale pour Samsuffit).
Au CCC OD, l’image, tirée ou projetée, primait. À la Villa du Parc, les photographies sélectionnées se font objets à travers une véritable mise en espace. La scénographie respecte la géologie du territoire – vallées au rezde-chaussée, montagne à l’étage – et la boîte de nuit – cinq salles, cinq ambiances. Dans les vallées, l’industrie est finissante. Sur une paroi alternant tirages encadrés et impressions sépia à même le mur (le sépia de l’archive), on découvre, outre l’Empire et le Galaxie, une improbable décharge de télécabines, des immeubles ou des enseignes hautes comme des châteaux d’eau. En face, une série de pancartes de promoteurs immobiliers sur un papier peint de sommets kitsch. La vallée, c’est aussi une collection de pavillons des années 1980, encadrés de différentes couleurs, et leurs crépi, toiture et volets personnalisés. Photographies-objets qui en sont elles-mêmes entourées : reproduction de certains noms de maison en fer forgé – « Malgré tout », dans la même veine que « Samsuffit » déniché du côté de Tours – et peintures au crépi en hommage à ce matériau. À l’étage, une « salle des alpages » s’inspire de l’écomusée version dépouillée : photographies de fermes ou d’abris à bois – certains pris de 3/4, rompant avec la frontalité documentaire – se mêlent à du (vrai) matériel de traite déniché dans des brocantes et à de (faux) saucissons différemment ficelés selon les traditions. On croise aussi cartes postales et écussons créés pour chaque région, produits dérivés de l’ARN. Pour la première fois, Tabuchi et Monnier « activent » leur archive en en extrayant tout un univers : portrait subjectif et incarné de ces régions, aussi juste et flou que leurs cartes.
Aurélie Cavanna
Tabuchi et Monnier exposent un autre extrait de l’ARN au centre d’art GwinZegal, à Guingamp, jusqu’au 6 février 2022. Ils publient également le premier tome de leur Atlas à cette occasion (Gwin Zegal / Poursuite).
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Empire et Galaxie: reading the title of the exhibition of work by Éric Tabuchi (b. 1959, France) and Nelly Monnier (b. 1988, France), it is hard to imagine that it hides photographs of the Savoyard landscape that they explored, by car and on foot, during a residency at the contemporary art center Villa du Parc in Annemasse. Star Wars rather comes to mind. Empire is in fact the name of one of the rooms of the Macumba, famous nightclub now closed, and Galaxie the name of a betting shop restaurant, run down but still open. This title says a lot about the long-term project the photographs are part of: their Atlas des Régions Naturelles, 25,000 images planned over 10 years. Since 2017 this pair of artists has been on a mission to represent the entire French territory, including—and especially—the locally distinct areas and their architecture that are usually overlooked; with, as a procedure, 4-5 days (neither too many nor too few) for 50 images of each of these 450 to 500 “natural regions”. Because ARN is based on maps, but not the administrative one of the départements. On a real-life scale, theirs are empirical, cut up according to culture and geology. Documentary rigour is relative. The ARN website, launched in 2020 during an exhibition at the CCC OD in Tours, bears witness to this: you can browse this database by shape, colour, framing, theme (including bankruptcy) or series (special mention for Samsuffit).
At the CCC OD, the image, whether printed or projected, was paramount. At the Villa du Parc, the selected photographs are made into objects through veritable positioning in space. The scenography respects the geology of the region—valleys on the ground floor, mountains on the first floor—and the nightclub—five rooms, five atmospheres. In the valleys industry is dying out. On a wall alternating between framed prints and sepia prints on the wall (the sepia of the archive), we discover, in addition to the Empire and the Galaxy, an improbable cable car dump, buildings and signs as high as water towers. Opposite, a series of property developers’ signs on a wallpaper of kitschy peaks.The valley is also a collection of pavilions from the 1980s, framed in different colours, with their own rendering, roofs and shutters. Photographsobjects which are themselves surrounded by them: reproduction of certain names of houses in wrought iron—“Malgré tout” in the same vein as “Samsuffit” unearthed near Tours—and plaster paintings in homage to this material. On the first floor, a “mountain pastures room” is inspired by a stripped-down version of the ecomuseum: photographs of farms and wood sheds— some taken at a 3/4 angle, breaking with documentary frontality—are mixed with (real) milking equipment unearthed at flea markets and (fake) sausages tied differently according to tradition.There are also postcards and badges created for each region, products derived from ARN.
For the first time,Tabuchi and Monnier “activate” their archive by extracting a whole universe from it: a subjective, embodied portrait of these regions, as accurate and imprecise as their maps.
Tabuchi and Monnier are exhibiting another extract from ARN at the GwinZegal art center in Guingamp until February 6th, 2022. They are also publishing the first volume of their Atlas on this occasion (GwinZegal/Poursuite).
Éric Tabuchi et Nelly Monnier. Empire et Galaxie. Vue de l’exposition show view Villa du Parc, Annemasse, 2021. (Ph. É. Tabuchi et N. Monnier)