José Alvarez
Anselm Kiefer. Biographie Éditions du Regard, 350 p., 23 euros
Le mobile de cette biographie, s’il est de concourir à l’histoire de l’art, est plus encore la philia, cet « amour raisonnable » (Tobie Nathan) que façonne l’amitié. José Alvarez, créateur des éditions du Regard et essayiste, est sans aucun doute l’homme le plus proche d’Anselm Kiefer, le plus célèbre artiste allemand de Paris mais aussi le citoyen au jour le jour fréquenté dans sa vie courante. « Côtoyant Anselm Kiefer depuis plus de vingt-cinq années, sinon au quotidien, du moins assidûment, tant à l’atelier qu’à titre personnel, tout au long de voyages professionnels, séjours d’agrément et autres événements de la vie amicale ou artistique, il m’est apparu comme une évidence de chroniquer nos souvenirs. » Vient en somme un temps où la proximité avec l’artiste, faite de commissariats d’expositions et de textes analytiques, commande de se porter audelà de ce matériau sans chair, spectral à l’excès. Cette biographie se veut profondément humanisée, anti-structuraliste, aurait-on dit en d’autres temps. Le style qui pétrit une oeuvre d’art ? En vérité, c’est « tout l’homme », pour reprendre la célèbre formule de Buffon. Se refusant cependant à l’anecdote, l’auteur ne perd jamais de vue son sujet : rendre claire une oeuvre dense commencée avec la crise de la Kultur (Kiefer est né en 1945, « l’année zéro ») et instamment travaillée par l’apocalypse, la fin de l’humanisme, l’Holocauste et la question juive. Pourquoi la fascination, chez l’artiste, de la mélancolie, de la rouille, du soleil mort, des plantes, des mythologies germaniques comme de la kabbale ? Préférant les entrées thématiques de l’oeuvre à la stricte chronologie, Alvarez n’a de cesse d’interroger chez Kiefer ce qui fait la « vérité » de son oeuvre, son constant balancement entre le sublime et la mort.