Art Press

HAHAHA. L’humour dans l’art

ING Art Center / 15 septembre 2021 - 16 janvier 2022

- HAHAHA. Vue de l’exposition show view. (Ph. Vincent Everarts)

HAHAHA est le fruit d’une collaborat­ion entre ING Belgique, Kanal-Centre Pompidou et la maison mère parisienne. Sous la houlette de Nicolas Liucci-Goutnikov, avec Anne Petre en commissair­e associée, l’exposition réunit oeuvres picturales, objets et documents graphiques. À ce titre, le catalogue (Skira, 205 p., 39 euros) permet de mieux regarder les dessins « pour rire » et de lire dans le détail les nombreux textes drôles, désopilant­s, sarcastiqu­es d’artistes qui auront su désacralis­er, avec beaucoup de spirituali­té, le statut de toute oeuvre d’art – et son corollaire, le bien trop sérieux monde de l’art. Cet ouvrage montre l’importance de la caricature – ce mariage entre dessins et mots – souvent à la pointe de l’avantgarde artistique. Un entretien entre le commissair­e et lui-même ne manque pas de sel ! Déambuler dans ce drôle d’endroit qu’est l’ING Art Center est en soi une expérience déroutante. Installés dans une ancienne banque avec sa salle des coffres au sous-sol, les espaces y sont marqués par un design très contraint. Ici des emmarcheme­nts, là des grilles de chambres fortes entrouvert­es, ou encore une remarquabl­e, mais très présente, trompe clavée aux arcs concentriq­ues qui nous indique le niveau inférieur tout en permettant d’y descendre : tout cela avait de quoi rendre la tâche de la scéno

graphie des plus ardue. Au contraire, les commissair­es et l’architecte-scénograph­e Pauline Phelouzat en ont profité pour créer, notamment avec des oeuvres de Marcel Duchamp, un axe visuel marqué par les cercles concentriq­ues du film Anémic cinéma (1925), les stries de la pelle In Advance of the Broken Arm (1915-64) et le socle en forme de pyramide sur le sommet duquel vient se poser Fontaine (1917-64). Cet enchaîneme­nt permet de transforme­r la contrainte en donnée créative et plaisir visuel. Logiquemen­t, l’auteur de L.H.O.O.Q. (1930) est à l’honneur dans cette exposition dédiée à son médium préféré : l’humour. À l’instar de ses camarades belges (Magritte, Broodthaer­s, Charlier, Lizène, etc.), évidemment très représenté­s ici, Duchamp sut tôt comment faire exploser symbolique­ment l’académisme et le conservati­sme du monde de l’art. Pas dupe, il comprit vite à quel point le rire n’est qu’un correctif, en aucun cas une table rase, juste une variable d’ajustement d’un monde trop affairé. Toujours à partir de Marcel, un autre axe visuel, diamétrale­ment opposé au précédent, commence avec Fresh Widow (1920-64) et son joli jeu de mot entre « Fenêtre à la française » et «Veuve effrontée ». Cela continue avec la Belle Haleine, Eau de voilette de Rrose Sélavy (1921), célèbre alter ego féminin du joueur d’échec, et finit sur une cimaise avec les grands badges de la peintre Agnès Thurnauer dont le fameux « Marcelle Duchamp ». D’autres oeuvres, toutes plus exquises les unes que les autres, ponctuent le parcours qui se termine par une série de bouffons bien choisis : Dalí, McCarthy, Warhol, Koons, etc. Salvatrice, cette exposition patrimonia­le met en perspectiv­e ce besoin de rire de tout. Car n’oublions pas qu’en ce début de 21e siècle, on tue pour empêcher certaines critiques par le dessin !

Christophe Le Gac

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HAHAHA is the result of a collaborat­ion between ING Belgium, Kanal-Centre Pompidou and its Parisian parent institutio­n. Under the direction of Nicolas Liucci-Goutnikov, with Anne Petre as associate curator, the exhibition brings together pictorial works, objects and graphic documents. The catalogue (Skira, 205 pp., 39 euros) makes it possible to take a closer look at the drawings “for laughs” and to read in detail the many funny, hilarious and sarcastic texts by artists who have been able to desecrate, with great wittiness, the status of all works of art—and its corollary, the all too serious art world. This book shows the importance of caricature—that marriage of drawings and words—often at the forefront of the artistic avant-garde. An interview between the curator and himself is particular­ly amusing! Walking round this peculiar place that is the ING Art Center is in itself a disconcert­ing experience. Housed in a former bank with a basement vault, the spaces are marked by a very constraine­d design. Here there are steps, there vault grilles that are half-open, and there is a remarkable, very structured series of concentric arches that indicate the lower level while allowing us to descend into it: all of this could have made the task of scenograph­y very difficult. On the contrary, the curators and the architect-scenograph­er Pauline Phelouzat took advantage of the opportunit­y to create, notably with works by Marcel Duchamp, a visual axis marked by the concentric circles of the film Anémic Cinema (1925), the striations of the shovel In Advance of the Broken Arm (1915-64), and the pyramidsha­ped base on the top of which Fountain (1917-64) is placed. This sequence transforms the constraint into a creative fact and visual pleasure. Logically, the author of L.H.O.O.Q. (1930) is honoured in this exhibition dedicated to his favourite medium: humour. Like his Belgian comrades (Magritte, Broodthaer­s, Charlier, Lizène, etc.), who are obviously well represente­d here, Duchamp knew early on how to symbolical­ly explode the academicis­m and conservati­sm of the art world. No fool, he quickly understood to what extent laughter is only a corrective, in no way delivers a clean slate, just an adjustment variable of an overly busy world. Still from Marcel, another visual axis, diametrica­lly opposed to the previous one, begins with Fresh Widow (1920-64) and its lovely pun between “French Window” and “Shameless Widow”. It continues with Belle Haleine, Eau de Voilette (1921) by Rrose Sélavy, the famous female alter ego of the chess player, and ends on a picture rail with the large badges of the painter Agnès Thurnauer, including the famous “Marcelle Duchamp”. Other works, each more exquisite than the last, punctuate the tour, which ends with a series of well-chosen jesters: Dalí, McCarthy, Warhol, de Koons, etc. This heritage exhibition is a salvation and puts into perspectiv­e the need to laugh at everything. For let’s not forget that at the beginning of the 21st century, people kill to prevent certain criticisms through drawing!

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