Art Press

Alexis Cordesse. Présences

Musée Nicéphore Niépce / 15 octobre 2021 - 16 janvier 2022

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Un mur criblé de balles, un homme tirant à travers des vitres, une femme voilée la tête baissée ou encore un mort sur un brancard tracent une ligne de petits tirages au noir et blanc dense et somptueux. À peine plus grands qu’une carte postale, ils accrochent – écorchent – le regard, ni trop ni trop peu. Kaboul, de guerre lasse d’Alexis Cordesse (France, 1971) rend compte des combats qui sévissaien­t dans la ville en 1995 au fil de cadrages qui semblent embrasser le hors-champ. À partir de cette série, celui qui ne sera bientôt plus photojourn­aliste prendra ses distances avec la presse et ses si nombreux clichés qu’on ne voit parfois même plus défiler. De guerre lasse, Cordesse commençait à y alterner captures de sons et d’images. Il ne se souciera désormais plus que de présences.

C’est ce qui frappe dans cette rétrospect­ive : la photograph­ie non comme flux mais comme objet à la forme pensée selon ce qu’elle cherche à montrer. Pour donner toute leur place à celles et ceux qu’il a photograph­iés, Cordesse apporte un soin chirurgica­l à la justesse, que ce soit dans ses images augmentées de témoignage­s ou ses séries de portraits – rien d’étonnant à ce qu’il se soit libéré de l’editing médiatique. Lorsqu’il part s’isoler, fatigué des guerres, il immortalis­e les habitants du village de la Bruja (1999-2001), à Cuba, dans un format souvent carré, comme pour tenir chaud à son sujet : un homme et son âne, un autre tenant un coq en laisse, une petite fille au milieu des plantes. En 2003, cette fois en couleurs qu’il utilise pour la première fois, on retrouve ce même format dans la Piscine, celle de son enfance en banlieue parisienne, où se déga

gent sur fond bleu limpide en Diasec des habitués tous singuliers. Découpée en espaces communiqua­nt entre eux, la scénograph­ie donne à voir la porosité entre ses travaux. Si Cordesse s’est éloigné de la presse, il n’a pas renoncé à la représenta­tion des conflits, habité par sa « propre éthique du témoignage ». On pense à l’ensemble au long cours consacré au génocide des Tutsi du Rwanda et présenté au musée. Itsembatse­mba (1996) occupe toute une cimaise. En creux, s’y esquisse l’après du massacre : tirages exposés bord à bord avec, de même format, des extraits de propagande diffusés à la radio, que retransmet­tent des enceintes. L’Aveu (2004) dévoile le portrait de génocidair­es redoutable­ment humains, sans fioritures, au côté desquels on lit leur témoignage : « À ce moment-là, on ne connaissai­t plus Dieu. » À même le mur, Absences (2013) étend quant à elle des paysages au vert sublime que vient troubler l’écoute du récit de rescapées.

L’exposition se termine avec la dernière série de Cordesse, Talashi (2018-20), composée d’images que lui ont confiées des exilés syriens avec lesquels il a échangé. Entre esthétique et vernaculai­re, sa sélection est habile, mais accrochés, ces « albums de famille » flottent sur une paroi trop grande. Le livre (Atelier EXB, 128 p., 35 euros) est en revanche une claque. L’ouvrage entre les mains, en feuilletan­t les pages, on se reconnaît presque dans ces personnes, ces photos de mariage ou de vacances. Et à la lecture des histoires sobrement transmises par Cordesse, on prend soudain toute la mesure de ces exils.

Aurélie Cavanna

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A wall riddled with bullets, a man shooting through a window, a veiled woman with her head down, a dead man on a stretcher trace a line of small prints in dense, sumptuous black and white. Barely larger than a postcard, they catch— scratch—the eye, neither too much nor too little. Alexis Cordesse’s Kaboul, de Guerre Lasse [Kabul, a Weary War] gives an account of the fighting that raged in the city in 1995 through framings that seem to embrace the off-screen. From this series, Cordesse (France, b. 1971), who would soon no longer be a photojourn­alist, distanced himself from the press and its numerous pictures that we sometimes don’t even notice scrolling by anymore. War weary, Cordesse began to alternate takes of sound and images. Henceforth only presences would concern him. This is what is striking in this retrospect­ive: photograph­y not as a flow but as an object whose form is thought according to what it seeks to show. In order to give their full place to those he has photograph­ed, Cordesse takes surgical care to ensure accuracy, whether in his images augmented with testimonie­s or in his series of portraits—it is not surprising that he has freed himself from media editing. When he went into seclusion, tired of wars, he immortaliz­ed the inhabitant­s of the village of La Bruja (1999-2001), in Cuba, in an often square format, as if to keep his subject warm: a man and his donkey, another holding a rooster on a leash, a little girl among plants. In 2003, this time in colour, which he was using for the first time, we find this same format in the Piscine [Swimming Pool], the one of his childhood in the Paris suburbs, where the clear blue background in Diasec shows the regulars, all of them singular.

Divided into spaces that communicat­e with each other, the scenograph­y shows the porosity between his works.

Though Cordesse moved away from the press, he did not give up the representa­tion of conflicts, inhabited by his “own ethics of testimony”. One thinks of the longrunnin­g series devoted to the genocide of the Tutsis of Rwanda, presented at the museum. Itsembatse­mba (1996) occupies an entire wall. The aftermath of the massacre is sketched in prints exhibited side by side with, in the same format, propaganda excerpts broadcast on the radio, which are played back through speakers. L’Aveu [The Confession, 2004] unveils the portrait of genocidair­es who are frightenin­gly human, without embellishm­ent, beside whom we read their testimony: “At that moment, we no longer knew God”. On the wall, Absences (2013) extends landscapes of sublime green that disturb the listening to the stories of survivors.

The exhibition ends with Cordesse’s latest series, Talashi (2018-20), composed of images entrusted to him by Syrian exiles with whom he has spoken. Part aesthetic, part vernacular, his selection is deft, but hung, these “family albums” float on a wall that is too big. The book (Atelier EXB, 128 pp., 35 euros) is on the other hand a slap in the face. As you flip through the pages, you almost recognise yourself in these people, these wedding photos and holiday snaps. And when reading the stories soberly conveyed by Cordesse, one suddenly takes the full measure of these exiles.

De gauche à droite from left: Alexis Cordesse. De la série series Talashi. 2018-20. De la série series Itsembatse­mba. 1996. (© Alexis Cordesse)

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