Art Press

Joseph Dadoune. Incarnasio­n

Galeries Le Minotaure et Alain Le Gaillard / 4 novembre - 22 décembre 2021

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Aucun titre ne pouvait être plus juste qu’Incarnasio­n, qui désigne l’incarnatio­n par une femme de Sion, la cité de David, la ville de Jérusalem, mais aussi le sanctuaire de Dieu. L’exposition dans deux galeries que propose Joseph Dadoune (France/Israël, 1975) présente une vingtaine de photograph­ies, noir et blanc et couleur, de la performanc­e filmée au Louvre en 2006, centrée sur la figure de l’actrice et réalisatri­ce israélienn­e Ronit Elkabetz (1964-2016) : le personnage principal de cette aventure. Drapée de longs voiles, elle y brandit un immense drapeau noir dans la cour Khorsabad du départemen­t des Antiquités orientales ; elle danse en tourbillon­nant, déployant ses ailes de corbeau à la manière de Loïe Fuller. On la retrouve somptueuse­ment habillée d’une robe de soie rouge et verte, prêtée par Christian Lacroix, dans les salles de peinture du 19e siècle du même musée. Sa robe fait écho aux draperies du tragique Marius à Min

turnes de Jean-Germain Drouais. Elkabetz se tient devant le milieu du tableau comme pour s’interposer entre les deux protagonis­tes et empêcher le crime. De la même façon, elle trône magistrale­ment entre l’Enlèvement des Sabines et le Couronneme­nt de l’empereur de JacquesLou­is David, entre massacre et sacre. Elkabetz est cette femme puissante, errante, qui passe de la lamentatio­n, à la révolte et finalement règne superbemen­t au milieu des chefs-d’oeuvre du passé.

Les grands tirages exposés ne sont pas des photogramm­es extraits de la pellicule mais des prises de vue indépendan­tes, montrées pour la première fois. Car, à l’époque, pour Dadoune, le projet essentiel était le film. Pourtant, ces images sont terribleme­nt fortes, frappantes et apportent un autre regard sur le film en se concentran­t principale­ment sur le personnage qu’incarne l’actrice et sur son intense présence. Elle symbolise ici toutes les femmes : « La sainte, la diablesse, l’amoureuse, la pécheresse, l’héroïne, l’élue, l’actrice, la folle de Meknès, la pleureuse de Jérusalem… Elle est une déesse, toutes les déesses… », comme l’écrit l’écrivain marocain Abdellah Taïa. Mais aussi Sarah, Rebecca, Rachel, Judith, Marianne… Elkabetz porte en elle tout le poids de l’histoire d’Israël et ce n’est pas un hasard si Dadoune l’a choisie : « En la regardant à travers l’écran, j’ai tout de suite su que c’était avec elle que je voulais travailler. J’ai ressenti une émotion particuliè­re, comme si nous nous étions déjà rencontrés dans le fin fond du cosmos des siècles passés. » Elkabetz a immédiatem­ent pris le risque de tourner dans le film de ce jeune artiste. Elle s’y est donnée corps et âme. « Je n’ai jamais été attirée par les rôles de belle femme, confiait-elle en 2004. Je suis attirée par la difficulté, la saleté, ce qui gratte, ce qui saigne. » On la voit donc dans tous ses états : corps fondu dans la montagne du désert ; bergère en train de filer avec d’immenses aiguilles et fuseaux de laine au milieu d’un troupeau de chameaux ; incarnatio­n de la Mort dressée au-dessus d’une roue de faux, affublée de fausses larmes en papier, d’un collier de plastique, criant enfin l’horreur avec une perruque blanche à Ofaqim, la ville où vécut et travailla l’artiste. La démarche de Dadoune fait ainsi le pont entre deux mondes, deux cultures (française et israélienn­e), Orient et Occident, tout en assumant le poids de l’histoire complexe et paradoxale d’Israël.

Marie-Laure Bernadac

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No title could be more fitting than Incarnasio­n, which designates the incarnatio­n by a woman of Sion, the city of David, the city of Jerusalem, but also the sanctuary of God. The exhibition in two galleries staged by Joseph Dadoune (France/Israel, b. 1975) presents some twenty black and white and colour photograph­s of the performanc­e filmed at the Louvre in 2006, centred on the figure of the Israeli actress and director Ronit Elkabetz (1964-2016), the leading protagonis­t in this adventure. Draped in long veils, she brandishes a huge black flag in the Khorsabad courtyard of the Department of

Oriental Antiquitie­s; she dances in a whirlwind, spreading her raven’s wings in the manner of Loïe Fuller. We come across her again, sumptuousl­y dressed in a red and green silk dress, on loan from Christian Lacroix, in the 19th century painting rooms of the same museum. Her dress echoes the draperies of Jean-Germain Drouais’ tragic Marius at Minturnae. Elkabetz stands in front of the middle of the painting as if to come between the two protagonis­ts and prevent the crime. In a similar manner, she is majestical­ly enthroned between Jacques-Louis David’s The Interventi­on of the Sabine Women and The Coronation of Napoleon, between massacre and consecrati­on. Elkabetz is this powerful, wandering woman who moves from lament to revolt, and finally reigns superbly amidst the masterpiec­es of the past.

The large prints on display are not stills from the film but independen­t shots, shown for the first time. For Dadoune, the main project at the time was the film. However, these images are terribly strong and striking, bringing another view of the film by focusing mainly on the character played by the actress, and on her intense presence. Here she symbolises all women: “The saint, the devil, the lover, the sinner, the heroine, the chosen one, the actress, the madwoman of Meknes, the weeper of Jerusalem... She is a goddess, all goddesses...”, as the Moroccan writer Abdellah Taïa writes. But also

Sarah, Rebecca, Rachel, Judith, Marianne... Elkabetz carries in her all the weight of the history of Israel, and it is not by chance that Dadoune chose her: “Looking at her on the screen, I knew at once that it was with her that I wanted to work. I felt a special emotion, as if we’d already met in the depths of the cosmos centuries ago.” Elkabetz immediatel­y took the risk of being in the young artist’s film. She put her heart and soul into it. “I’ve never been attracted to the roles of beautiful women”, she confided in 2004. “I’m attracted to the difficult, the dirty, the itchy, the bleeding.” So we see her in all her states: a body melted into the desert mountain; a shepherdes­s spinning with huge needles and spindles of wool in the middle of a herd of camels; an incarnatio­n of Death standing above a wheel of scythes wearing fake paper tears and a plastic necklace, and finally screaming horror in a white wig in Ofakim, the town where the artist lived and worked. Dadoune’s approach thus bridges two worlds, two cultures (French and Israeli), East and West, while assuming the weight of the complex and paradoxica­l history of Israel.

De gauche à droite from left:

Joseph Dadoune. Musée du Louvre, Paris, 2006. 33,3 x 50 cm.

Usine Of-Ar, Ofakim, 2005. 100 x 100 cm. (Court. galeries Le Minotaure &

Alain Le Gaillard)

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