Richard Millet
La Princesse odrysienne Aqua aura, 246 p., 15 euros
Par ce texte qui se veut un adieu au roman, dont Richard Millet a souvent rappelé l’inanité suite à son exploitation mercantile, le lecteur trouve, paradoxalement, tout ce que ce genre protéiforme a produit de meilleur. Que peut-on attendre du roman aujourd’hui, genre jugé « très fatigué » ? Par un récit à la première personne, qui se présente comme le témoignage d’un jeune adolescent venu passer une année chez sa tante sur le plateau de Millevaches, le lecteur assiste aux différents rites de passage qui mènent à l’âge adulte. Dans une veine introspective, qui prend le ton de la confession, celui qui se présente comme un rêveur, vivant à l’orée de la réalité, part à la rencontre d’êtres atypiques, qui peuplent le territoire de Siom, géographie littéraire inspirée par la Corrèze natale de l’auteur, mêlant lieux réels et inventés. C’est donc à Villevaleix que le narrateur trouve refuge, faisant connaissance avec les habitants qui vivent là, sur ces « hautes terres », lieu de l’exode rural, du changement climatique et d’un tournant civilisationnel qui a conduit à la « fin des paysans ». Les échos de ce monde contemporain, dont l’écrivain antimoderne déplore le nihilisme, nous parviennent précisément, amenant chacun à réfléchir (situation pandémique due au coronavirus, faillite de l’école, usage massif des drogues) à sa place dans nos sociétés industrielles, qui ont redéfini le rapport à la Nature, à la forêt, aux animaux. Concomitant aux délectations poétiques et stylistiques que nous offre la langue exigeante de Millet, le singulier plaisir éprouvé face au suspense, maintenu avec beaucoup d’adresse tout au long de la lecture, confère une dimension palpitante à l’histoire, qui emprunte tour à tour les codes du roman de formation, du roman noir, érotique, ou fantastique.