Art Press

André Suarès

- Richard Millet

Ports et rivages Gallimard, 380 p., 21 euros

Un « pionnier de la NRF », André Suarès, comme le dit l’éditeur ? Né en 1868, comme Claudel, et mort en 1948, la même année qu’Artaud et Bernanos, cet essayiste de premier plan voyait en Gide « le Goethe des mouches », était « sans parti ni complice », seul, volontaire­ment, quoique ami de Bourdelle et Rouault : un rebelle qui avait fait du repliement une nécessité et de la grandeur une morale ; un excentriqu­e, aussi, écrivant à l’encre rouge, cheveux longs et barbiche pointue ; un hipster dont l’oeuvre fut hautement estimée de son vivant, mais sans le secours du roman, et pour qui l’art était une forme supérieure d’existence. Le frère ténébreux des grands pasteurs de la Nouvelle revue française… Le meilleur de son oeuvre se trouve dans ses essais sur Pascal, Baudelaire, Dostoïevsk­i, Beethoven, Debussy, et aussi dans le Voyage du condottièr­e (1932), où se lisent certaines des plus belles pages qu’on ait écrites sur l’Italie et sur l’art. La mer, la Méditerran­ée et la Bretagne occupent aussi une place centrale chez ce Marseillai­s qui a consacré à sa ville natale, à la Provence, à l’Italie, notamment la Sicile, et aux rivages bretons, des textes dont la présente anthologie montre que, cherchant moins la « prose poétique » que l’enchanteme­nt, Suarès décèle dans le paysage ce qu’il a de singulier autant que d’universel. Ainsi le mistral, sans lequel la Provence serait fade : celui qui ne l’aime pas « ne comprendra jamais la mer ». Sur la mer en Bretagne : « Ici, c’est le désert, et sa nudité héroïque. Les vagues lentes valent bien les sables ; et nulle part la pensée de l’espace n’est plus terrible, la pensée qui parle dans l’oeil du firmament. » Et sur Venise : « Point de fondation : le plaisir est le moment. Le moment porte tout. Venise conseille l’ivresse : vivre dans un baiser, et aussi bien y mourir. »

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