Claire Chesnier/Denis Laget. Mudhoney
PARIS
Galerie ETC / 6 janvier - 13 mars 2022
Tandis que l’horizon se lève, les fleurs peut-être se fanent, dans un délicat renoncement. À la rosée du matin, elles s’assouplissent, dégorgent leur velours humide et s’alanguissent d’une pesanteur épanouie. L’aube, elle, se lève délicatement, étirant un nuancier flottant, souffle de rose, frisson d’opale, le jour s’éveille en finissant d’étreindre la nuit. Cet horizon suspendu, à hauteur de notre regard, est celui des grandes abstractions de Claire Chesnier (France, 1986), encres virtuoses aux teintes aussi indéfinissables que le reflet d’une vapeur d’eau lévitant audessus d’un lac gelé. L’artiste laisse couler l’encre sur de grandes surfaces, observant les effets créés par la gravité. La technique est minutieuse, répétée, aussi silencieuse et exigeante qu’un ballet. Naissent des reflets, des paysages, des aubes vermeilles, des sous-bois vert d’eau, des frémissements opaques. Les aurores de Chesnier ne sont peut-être que des crépuscules. Un début ou une fin, une joie dorée ou une mélancolie ternie. Par-delà la peinture, la liquidité des sentiments affleure. En infimes coulures et en retenue improvisée. L’encre coulée, diluée, sur du papier, fait éclore des étendues à la beauté silencieuse. Songe absorbé, imbibé, aussi profond qu’« une goutte d’eau puissante suffit pour créer un monde et pour dissoudre la nuit », écrivait Gaston Bachelard, le penseur de « la matière imaginante ». Celle-là même qui s’exprime, intensément, goulument, remarquablement, en contre-point de ces grandes abstractions, au sein de petits formats carrés emplis de portraits de fleurs. Solitaires, mais le plus souvent en duo, les adorables pensées rose pâle ou bleutées de Denis Laget (France, 1958) étalent leurs rondeurs picturales avec volupté. Le geste est vif et subtil à la fois, le pinceau brosse la vitalité de la nature, avec la passion d’une touche épaisse, au relief gourmand, impressionniste. La nature morte suggère une douce sensualité qui se sait éphémère. Les taches ne seront bientôt plus que des fonds colorés, le temps aura passé. Quelle idée de rassembler deux artistes aussi différents ? L’intense abstraite Chesnier a convié le bouillonnant figuratif Laget, sous le commissariat de Jean-Charles Vergne, directeur du Frac Auvergne qui a donné le titre de Mudhoney à l’exposition, évoquant peut-être le groupe de grunge américain. « Mudhoney » ou le « risque de la boue » écrit-il, en précisant : « l’un comme l’autre parvient à cet état limite improbable où le sublime advient aux abords de la déréliction ». On ne dira jamais assez que les contraires s’attirent. Cette exposition prouve combien l’abstraction n’est que figuration et inversement. Les palettes vibrent à l’unisson de roses, d’ocres, de violets, d’émeraude, de bruns, de bleus et d’orangés. Et qu’il soit de l’ordre du désenchantement ou du sublime, c’est bien d’amour dont suintent les miroitements des encres de l’une et les inflexions florales de l’autre.
Julie Chaizemartin
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As the horizon shifts, the flowers wither, perhaps in a delicate renunciation. With the morning dew, they soften, disgorge their moist velvet and become languid with a blooming weight. Dawn rises delicately, stretching out a floating colour chart, a rosey breath, an opaline quiver, the day awakens as it finishes embracing the night.This suspended horizon, at eye level, is that of the great abstractions of Claire Chesnier (France, b. 1986), virtuoso inks with hues as indefinable as the reflection of water vapour levitating above a frozen lake. The artist lets the ink flow over large surfaces, observing the effects created by gravity.
The technique is meticulous, repeated, as silent and demanding as ballet. Reflections, landscapes, vermilion dawns, green undergrowth, opaque ripples are born. Chesnier’s auroras are perhaps twilights. A beginning or an end, a golden joy or a tarnished melancholy. Beyond the painting, the liquidity of feelings emerges. In tiny drips and improvised restraint.The poured, diluted ink on paper, gives rise to expanses of silent beauty. A dream absorbed, soaked, “as deep as a drop of powerful water is enough to create a world and to dissolve the night”, wrote Gaston Bachelard, the thinker of the “imagination of matter”.
This is what expresses itself, intensely, thirstily, remarkably, in counterpoint to these large abstractions, within small square formats filled with portraits of flowers. Alone, but most often as a duet, the adorable pale pink or bluish pansies of Denis Laget (France, b. 1958) voluptuously show off their pictorial curves. The gesture is lively and subtle at the same time, the brush paints the vitality of nature, with the passion of a thick brushstroke, with a rich impressionistic relief. The still life suggests a sweet sensuality that knows it is ephemeral. The stains will soon be no more than coloured backgrounds, as time goes by. What an idea to bring together two such different artists?The intensely abstract Chesnier invited the bubbling figurative Laget, curated by Jean-Charles Vergne, director of the Frac Auvergne, who has given the title Mudhoney to the exhibition, perhaps as a wink to the american grunge band. “Mudhoney” or the “risk of mud”, as he writes, specifying that “both reach this improbable state of limit where the sublime occurs on the edge of dereliction”. It cannot be stressed enough that opposites attract. This exhibition is proving that abstraction is nothing but figurative, and reciprocally. The palettes vibrate in unison with pinks, ochres, purples, emeralds, browns, blues and oranges. And whether it is about disenchantment or sublimation, it is love that oozes from the shimmering inks of one and the floral inflections of the other.
De gauche à droite from left:
Claire Chesnier. 2019-21. Encres sur papier ink on paper. Denis Laget. Sans titre. 2021. Huile sur toile oil on canvas. Vue de l’exposition show view. (Ph. Origin Studios)