Ève-Marie des Places
La Récitante
Le Cherche-Midi, 270 p., 19 euros
La « lettre à l’éditeur » qui précède ce premier roman d’une inconnue estelle un clin d’oeil au romanesque du 18e siècle ou un dispositif postmoderne ? La réponse est dans l’étrange parole de cette narratrice solitaire – père incertain, mère défunte, nombreux amants d’une nuit, le jour encadreuse de métier, le soir lisant des textes classiques (saint Augustin, Fénelon, Stendhal, Bloy, etc.) devant un étrange cercle parisien : les Silentiaires. Tout cercle appelant sa concentricité (et son excentricité !), Ève-Marie encadre pour de riches amateurs des tableaux qui sont probablement des copies ou des faux et devient lectrice fantôme pour une éditrice collectionneuse d’autographes, à qui elle vend des lettres ou des fragments (vrais inédits ou pastiches ?) de Gracq, Guyotat, Sollers, Quignard, Houellebecq, Catherine Millet. Elle ajoute la flûte à la lecture et au chant devant un autre cercle, les Grands Mélomanes, et puis lit devant les Connaisseurs, qui cherchent et créent secrètement des partitions d’oeuvres qu’on croyait perdues, notamment de Ravel… Au-delà de ces pratiques qui relèvent moins du culturel que d’un culte où Borges rejoint Kierkegaard, c’est la question sexuelle qui rôde, dans ces pages souvent étonnantes de profondeur et d’ironie. Chaque cercle est aussi celui d’un enfer personnel où la narratrice se cherche elle-même, pas pour se « réaliser » ni « aller mieux » (elle laisse cela au monde contemporain), mais pour savoir qui elle est, entre le réel et les ombres errantes de « démons envoyés par le prince qui règne sur le monde visible », écrit-elle dans cet étrange roman qui nous renvoie à nous-même, nous force à nous demander qui nous sommes vraiment, au-delà de la « culture », et si la vérité n’est pas, pour paraphraser Levinas, qu’une faim que vient combler une nouvelle faim.