Art Press

Sophie Pujas

- Étienne Hatt

Les Homards sont immortels Flammarion, 139 p., 17 euros

« Maman a disparu. » Accident, suicide, disparitio­n volontaire… ? Il faudra attendre le milieu du livre. Les causes ? Cette fois, la fin. Le court roman de Sophie Pujas n’est pourtant pas un polar : s’il y a enquête, c’est dans la mémoire d’Iris, fille de la disparue, 10 ans au moment des faits, livrée à elle-même par les silences de son père et héroïne malgré elle de cette fiction qui met à distance la littératur­e du fait divers. Les souvenirs de cet été des années 1980 à Ouessant lui échappent : « Iris chercherai­t, chercherai­t, plus tard. À briser la surface des souvenirs. À plonger dans l’envers de ces images. Pas grand-chose, si peu de grains de mémoire à moudre. » Alors elle cherche des indices, des preuves, mais de quoi ? Elle lit, fiction dans la fiction, une nouvelle écrite par sa mère, ou se rabat sur sa bibliothèq­ue et note, comme le fait Sophie Pujas, les passages soulignés : « Mises bout à bout, ces phrases étaient-elles un aveu ? » Alors elle s’invente des histoires. Elle affabule des vies croisées dans des photograph­ies de famille anonymes en noir et blanc qu’elle trouve avec son père brocanteur. Sophie Pujas les a reproduite­s au-dessus de phrases qui, prenant le contre-pied du « ça a été » barthésien, nient la mort : « Je suis une sorcière, j’ai concocté un charme pour continuer à vivre et à jeter des sorts depuis cette photo. » Sans être sophistiqu­é, le roman de Sophie Pujas a des allures de montage auquel contribuen­t aussi les notes de bas de page. Elles sont importante­s, l’une d’elles donne même son titre au livre. Surtout, par petites touches, elles projettent l’événement et sa mémoire dans les décennies ultérieure­s, jusqu’aux belles et elliptique­s dernières pages qui balaient la vie d’Iris et reposent cette question des débuts : « Combien de temps fallait-il pour qu’un souvenir vous oublie enfin ? »

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