Art Press

Michel Thévoz

- Claire Margat

Les Écrits bruts

Le Canoë, 320 p., 24 euros

Cette réédition illustrée et augmentée du livre de l’ancien conservate­ur de la Collection de l’art brut de Lausanne Michel Thévoz sur les écrits bruts intervient alors que la relation écriture/dessin fait l’objet de plusieurs exposition­s. La polyvalenc­e de l’écrit et du dessin est omniprésen­te dans l’art brut mais l’auteur propose des catégories (Exil social, Langue de l’ennemi, Sorcelleri­e des mots…) : les écrits bruts cessent de rester des cas singuliers. Jean Dubuffet s’était intéressé à « l’Art Brut dans l’art d’écrire » sans y consacrer de recherches. Bien qu’écrire relève d’un héritage culturel, il pensait que les écrits bruts remettaien­t en question la langue instituée, de même que l’art brut lui servait à critiquer l’art officiel des musées. En plus de la référence à Dubuffet, Thévoz s’inscrit dans la doxa intellectu­elle des années 1970 (Lévi-Strauss, Freud, Lacan, la linguistiq­ue et Barthes). Il dénonce la relégation des auteurs d’écrits bruts dans la morbidité par des psychiatre­s et convoque des écrivains comme Raymond Queneau ou Francis Ponge qui cherche « une poésie par laquelle le monde envahisse à ce point l’esprit de l’homme qu’il en perde à peu près la parole, puis réinvente un jargon ». Les écrits bruts sont des proèmes, des poèmes en prose. Inventifs, individuel­s, ces jargons brouillons et ces langues secrètes s’opposant au langage imposé par la famille et par l’école nous mettent au défi de les comprendre. Mais, passée la stupéfacti­on première, il y a quelque chose de jubilatoir­e dans ces phrases dysorthogr­aphiques mimant l’oralité, ces mots tordus, ces propos délirants parfois forts pertinents : « Nous détenus nous sommes des assujettis à la surexitati­on », affirmait Sylvain Lecoq, interné en 1947 à l’hôpital Saint Jean de Dieu de Lyon. Mieux vaut lire ces délires de fous à lier que des écrits trop sages !

 ?? ??

Newspapers in English

Newspapers from France