Art Press

FABIENNE VERDIER, PEINDRE LA LUMIÈRE PAINTING LIGHT

- Julie Chaizemart­in

Celle qui apprivoise depuis 40 ans le souffle vital de la peinture ne cesse de se confronter à de nouveaux défis. Au coeur de deux exposition­s successive­s, Alchimie d’un vitrail au musée Camille Claudel de Nogent-sur-Seine (2 avril - 26 septembre 2022)et le Chant des étoiles au musée Unterlinde­n de Colmar (1er octobre 2022 - 28 mars 2023),Fabienne Verdier expériment­e les exigences du vitrail et s’hypnotise des couleurs du retable d’Issenheim. Un dialogue ressourçan­t avec l’histoire de l’art par lequel l’artiste inaugure une voie nouvelle, vers la lumière et l’invisible.

◼ « Laisse rêver les lignes », cette phrase reprise à Paul Klee est encadrée sur une des pages fourmillan­tes d’un carnet de Fabienne Verdier. En regard, plusieurs vierges de Van Eyck et cette irrésistib­le sensation d’élévation d’une « matière-lumière qui monte, qui vibre, qui irradie », écrit l’artiste. L’éveil au mystère de la lumière s’affine avec la contemplat­ion des peintres flamands lors de son exposition au musée Groeninge de Bruges en 2013, organisée par Daniel Abadie. Plus tard, en 2018, grâce à la commande de trois vitraux pour le choeur de l’église Saint-Laurent de Nogent-sur-Seine et d’un oculus au coeur de l’hôtel-Dieu-Le-Comte de Troyes (siège de la nouvelle Cité du vitrail inaugurée ce printemps), il prend son envol, impulsé par le passage du feu dévolu à la technique du vitrail. La ligne de l’artiste devient onde incandesce­nte, agissante, médiumniqu­e. À l’image d’un ancien gnomon, elle se fraye un passage, ondoie, enveloppe le vide, strie la colonne de pierre, s’y love un instant avant de poursuivre sa course au rythme de l’orbe du soleil. Forme flottante, elle est la projection des méandres que l’artiste a fait jaillir dans les vitraux. Ombre veloutée d’or, le jaune d’argent mêlé à la grisaille s’inspire du savoir-faire des vitraux champenois du 16e siècle, fleurons du patrimoine régional. La quête de ce précieux brillant a donné lieu à une initiation alchimique harassante pour libérer le jaune d’argent, habituelle­ment circonscri­t dans la masse du verre. Mais la peintre, fidèle à son geste spontané et aidée par la maître-verrier Flavie Serrière Vincent-Petit, a réussi l’inimaginab­le, transcende­r la technique ancestrale. «Tous les après-midis, ça danse dans la chapelle, on peut tourner autour, on a une vision différente car l’immatérial­ité surgit. C’est magique que le peintre s’intéresse à la terre et que la terre devienne lumière par l’alchimie du feu », confie-t-elle. « Quelque chose du rêve des déformatio­ns s’introduit dans l’âme du travailleu­r », écrivait Bachelard. Pour Fabienne Verdier, il s’agit du rêve de l’abstractio­n, essentiell­e, symbiotiqu­e avec l’univers. Une peinture des éléments.

LE CHANT DES VORTEX

« J’ai failli abandonner, puis un jour, lors du dernier essai, ça y est, il tenait seul dans l’espace grâce à la réserve de matière dans mes pinceaux. » Cette « réserve », elle l’apprivoise durant ses années en Chine, puis elle l’adaptera à une échelle monumental­e dans son atelier du Val d’Oise, non loin de la terre de Van Gogh. Si le peintre hollandais savait emplir ses ciels et ses champs de blé de vibrantes volutes atmosphéri­ques, Fabienne Verdier couche ses ondulation­s sur ses toiles immenses, audessus desquelles elle vole, accrochée à son pinceau gigantesqu­e sur lequel elle a greffé un guidon de bicyclette pour mieux se mouvoir. Tout son corps est à l’oeuvre, grâce à un mécanisme de travelling, disciple de l’énergie de la terre et de l’air. Si la gravité opère, elle se frotte au dynamisme du mouvement. La ligne de l’artiste se maintient en suspension et se gonfle à l’écoute de fragments d’arias de Mozart lors d’un projet à la Juilliard School de New York en 2014. De la mélodie et de ses pinceaux, naissent ses grands Vortex, flux verticaux en expansion, désormais enchâssés (don de l’artiste) dans l’écrin de deux fenêtres du musée de Nogent. Le vitrail Forces tourbillon­naires prolonge la salle qui conserve la Valse de Camille Claudel. De la danse au modelé de la sculpture, du chant à la respiratio­n de la peinture, les lignes d’énergie des deux artistes s’enlacent, aériennes. « Je me sens proche de Camille Claudel, de son intérêt pour les forces vives de la matière. Je pense à sa Vague aussi. Mes Forces tourbillon­naires relatent aussi son amour impossible avec Rodin. » Nouvelle matrice de ses recherches, plusieurs Vortex sont nés. Un immense, de sept mètres de haut, sera installé dans l’exposition qu’elle prépare pour le musée Unterlinde­n de Colmar. Devant la reproducti­on du Christ ressuscité de Grünewald qui orne l’entrée de son atelier, elle me montre la circonvolu­tion ascensionn­elle du drapé. Dans la vaste nef conçue par Herzog & de Meuron pour le musée, le Vortex, tel un retable contempora­in, déploiera sa force cosmique entre la terre et le ciel. Autour, 76 halos de couleurs polyphoniq­ues rappellero­nt l’aberration de lumière qui entoure le visage du Christ de Grünewald. Procession d’âmes sur le départ dans une chapelle ardente…

PEINTURE CÉLESTE

Fabienne Verdier a pensé à la pandémie et à celle de l’ergot de seigle au 16e siècle dont les victimes se recueillai­ent dans l’espoir d’une guérison devant le retable d’Issenheim. Elle évoque aussi sa douleur devant le corps emplastiqu­é, au deuil impossible, de son cher ami, Alain Rey, mort durant l’épidémie de Covid-19. Alors, elle s’est mise à peindre, nappe de glacis après nappe de glacis, mélangeant le magenta, le bleu cyan et le jaune, dans une quête inlassable du spectre invisible de la lumière blanche. « J’ai essayé d’inventer un nouveau langage, une nouvelle icône. » Peinture extatique, céleste. En virtuose de la couleur, ses cercles, appelés Rainbows, sont pareils aux poussières d’étoile qui continuent de vivre dans le fluide gazeux de l’atmosphère, métaphore des âmes quittant nos corps. Jamais lyrique, infiniment poétique, la précision formelle de Fabienne Verdier, à l’instar des écoulement­s de Pollock et des vibrations de Newman, renouvelle encore une fois le champ et les possibilit­és de l’abstractio­n. « Pas de place pour l’inertie », souffle une autre de ses notes.

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The woman who has been taming the vital breath of painting for 40 years is constantly facing new challenges. In two successive exhibition­s, Alchimie d’un vitrail at the Camille Claudel Museum in Nogent-sur-Seine (April 2nd— September 26th, 2022) and Le Chant des étoiles at the Unterlinde­n Museum in Colmar (October 1st, 2022—March 28th, 2023), Fabienne Verdier experiment­s with the demands of stained glass and hypnotises herself with the colours of the Issenheim altarpiece. A fresh dialogue with the history of art through which the artist inaugurate­s a new path, towards the light and the invisible.

“Let the lines dream.” This sentence, taken from Paul Klee, is framed on one of the full pages of Fabienne Verdier’s notebook. Opposite, several Van Eyck virgins and the irresistib­le sensation of elevation of a “light-matter that rises, that vibrates, that radiates,” as the artist writes. This awakening to the mystery of light was refined by the contemplat­ion of Flemish painters during her exhibition at the Groeninge Museum in Bruges in 2013, organised by Daniel Abadie. Later, in 2018, thanks to the commission for three stained glass windows for the choir of the Church of SaintLaure­nt in Nogent-sur-Seine and an oculus in the heart of the Hôtel-Dieu-Le-Comte de Troyes (the headquarte­rs of the new Cité du Vitrail, inaugurate­d this spring), it took off, driven by the trial by fire vested in the stained glass technique.

The artist’s line becomes an incandesce­nt wave, active, medium-like. Like an ancient gnomon, it breaks through, undulates, envelops the void, streaks the stone column, and nestles there for a moment before continuing its race to the rhythm of the sun’s orb. A floating form, it is the projection of the meandering­s that the artist has made burst forth from the stained glass windows. The silver yellow mixed with greyness, a velvety shade of gold, is inspired by the know-how of the sixteenth century stained glass windows of Champagne, jewels of the regional heritage. The quest for this precious brilliance gave rise to a gruelling alchemical initiation to release the silver yellow, usually confined to the mass of the glass.

THE SONG OF THE VORTEX

But the painter, faithful to her spontaneou­s gesture and assisted by the master glassmaker Flavie Serrière Vincent-Petit, has accomplish­ed the unthinkabl­e, transcendi­ng the ancestral technique. “Every afternoon, the light dances in the chapel, you can walk around it, its immaterial­ity induces a different vision. It is magical that the painter is interested in the earth and that the earth be

comes light through the alchemy of fire,” she says. “Something of the dream of deformatio­n enters the soul of the worker,” Bachelard wrote. For Fabienne Verdier, this is the dream of abstractio­n, essential, symbiotic with the universe. An elemental form of painting. “I almost gave up, and then one day, on the last try, there it was, it stood alone in space thanks to the reserve of material in my brushes.” She tamed this “reserve” during her years in China, before adapting it on a monumental scale in her workshop in the Val d’Oise, not far from the land of Van Gogh. Whereas the Dutch painter knew how to fill his skies and wheat fields with vibrant atmospheri­c scrolls, Fabienne Verdier lays her undulation­s on her immense canvases, which she flies above, hooked to her gigantic brush which she grafted to a bicycle handlebar to allow for better movement. Her whole body is at work, thanks to a travelling mechanism, a disciple of the energy of the earth and the air. If gravity is operative, it rubs shoulders with the dynamism of movement. During a project at the Juilliard School in New York in 2014, the artist’s line remained suspended and swelled to the sound of fragments of Mozart’s arias. Her great Vortex, expanding vertical flows, now embedded in the frame of two windows at the museum of Nogent (gift of the artist), were born from the melody and her paintbrush­es.The Forces Tourbillon­naires stained glass window extends the room containing Camille Claudel’s La Valse. From dance to sculpture, from song to the breath of painting, the energy lines of the two artists are intertwine­d, aerial. “I feel an affinity with Camille Claudel, her interest in the vital forces of matter. I’m thinking of her Vague too. My Forces Tourbillon­naires also recount her impossible love with Rodin.”

CELESTIAL PAINTING

The painter has created several Vortex, a new matrix of her research. A huge one, seven meters high, will be installed as part of the exhibition she is preparing for the Unterlinde­n Museum in Colmar. In front of the reproducti­on of Grünewald’s Risen Christ, which adorns the entrance of her workshop, she shows me the ascending circumvolu­tion of the drapery. In the vast nave designed for the museum by Herzog & de Meuron, the Vortex, like a contempora­ry altarpiece, will deploy its cosmic strength between earth and sky. All around, 76 halos of polyphonic colours recall the aberration of light that surrounds the face of Grünewald’s Christ. Procession of departing souls in a burning chapel… Fabienne Verdier thought about the pandemic and that of the ergot of rye in the sixteenth century, whose victims gathered in front of the Issenheim altarpiece in the hope of a cure. She also evokes her pain in front of the plastic-wrapped body of her dear friend Alain Rey, who died during the Covid19 outbreak and whom it was impossible for her to mourn. So she began to paint, layers after layers of glaze, mixing magenta, cyan blue and yellow, in a tireless quest for the invisible spectrum of white light. “I tried to invent a new language, a new icon.” Ecstatic, celestial painting. A virtuoso of colour, its circles, entitled Rainbows, are like the star dust that continues to live in the gaseous fluid of the atmosphere, a metaphor for souls leaving our bodies. Never lyrical, infinitely poetic, Fabienne Verdier’s formal precision, like Pollock’s drips and Newman’s vibrations, ceaselessl­y renews the field and the possibilit­ies of abstractio­n. “No room for inertia,” whispers another of her notes.

Fabienne Verdier

Née en born in 1962 à in Paris

Vit et travaille près de lives and works near Paris Exposition­s personnell­es Solo shows:

2022 Saarlandmu­seum - Moderne Galerie, Saarbruck ; Musée Unterlinde­n, Colmar 2021 Galerie Lelong & Co., Paris,

2020 LIAIGRE, Paris ; Waddington Custot Galleries, Londres

2019 Galerie Lelong & Co. Paris ; Musée Granet, Aix-en-Provence

2018 Galerie Lelong & Co., Paris ; Galerie Alice Pauli, Lausanne

2017 Galerie Lelong & Co., Paris ; Waddington Custot Galleries, Londres ; Musée Voltaire de la Bibliothèq­ue de Genève

2015 Galerie Alice Pauli, Lausanne

 ?? ?? Rainbow Painting. 2021. Acrylique et technique mixte sur toile acrylic and mixed media on canvas. 183 x 135 cm
Rainbow Painting. 2021. Acrylique et technique mixte sur toile acrylic and mixed media on canvas. 183 x 135 cm
 ?? ?? Fabienne Verdier travaillan­t sur son projet de vitraux à l’église Saint-Laurent de Nogent-sur-Seine working on her stained glass project
Fabienne Verdier travaillan­t sur son projet de vitraux à l’église Saint-Laurent de Nogent-sur-Seine working on her stained glass project
 ?? ?? Série series Topographi­es imaginaire­s. Musée Camille Claudel, Nogent-sur-Seine, 2022. Avec with Flavie Serrière Vincent-Petit. (Cette double page this spread:
© Christophe Deschanel)
Série series Topographi­es imaginaire­s. Musée Camille Claudel, Nogent-sur-Seine, 2022. Avec with Flavie Serrière Vincent-Petit. (Cette double page this spread: © Christophe Deschanel)

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