Robert Crumb, Aline Kominsky-Crumb et Sophie Crumb
Galerie David Zwirner / 10 février - 26 mars 2022
Crumb, c’est Rembrandt : la même manière d’hachurer pour créer des valeurs de gris, un trait nerveux d’une précision magnifique, une vision caricaturale avec une restitution éblouissante de la plastique des choses, des humains, des animaux, etc., avec un goût particulier pour le noir et blanc. Prenez une minuscule gravure de Rembrandt, agrandissezla au format d’une affiche : vous arrêterez tous les regards. Faites-le avec un Crumb, vous obtiendrez le même résultat. Chez l’Américain, se surajoute la dimension humoristique
– d’ailleurs présente aussi dans certaines oeuvres graphiques de Rembrandt. C’est toujours plein d’esprit et de détails jubilatoires. Son art de la composition vaut celui de Winsor McCay. Aucun dessinateur de cartoons n’eut autant d’influence sur des artistes majeurs. Le retour à la figuration de Philip Guston vers 1969 est imprégné de l’imagerie grotesque de Crumb. Sans parler des peintures de Peter Saul. Ils n’ont d’ailleurs jamais caché leur admiration profonde pour l’art de Crumb, passé de la culture underground aux arts dits « majeurs » en évitant la case Purgatoire. La distinction entre les arts est stupide. Seules deux catégories existent : les bons artistes et les mauvais – on peut aussi y intégrer les médiocres. Reste la subjectivité, autrement dit, la conviction. L’exposition présente les travaux du trio Crumb: Aline, la mère, Sophie, la fille, et Robert, le Saint-Esprit. Moins connues, elles ont pourtant un oeuvre singulier et remarquable. Aline, née Goldsmith, a étudié à Tucson. En 1971, elle débute dans Wimmen’s Comix, anthologie de la BD féminine. En 1976, elle publie le comics Twisted Sisters avec Diane Noomin : un seul numéro, devenu collector. Dans les années 1980, elle est rédactrice en chef du mythique Weirdo. Ses caricatures, illustrations et dessins sont publiés dans une édition rétrospective, Love That Bunch, en 1990 – enrichie en 2018 – chez Drawn & Quarterly. Ses autoportraits ironiques et moqueurs sont caractéristiques de l’autodérision qui règne au sein de cette famille. On ne se prend pas au sérieux chez les Crumb. On n’a pas oublié qu’on vient de la contre-culture. Son dessin est naïf avec le charme de la maladresse qui ne cherche pas à se planquer. Typique de celui des fanzines. Sophie est tombée dans la marmite BD dès son plus jeune âge. Ses dessins d’enfant sont publiés avec ceux de ses parents dans Weirdo & Dirty Laundry Comics. En 2002, Belly Button Comix, BD sur sa vie à Paris à 20 ans, est éditée par Fantagraphics Books. Son dessin très habile – réaliste dans certaines illustrations colorées – est aussi cartoonesque dans ses croquis du quotidien et autres BD. Elle se situe exactement entre l’art de son père et celui de sa mère, avec un caractère propre.
Le trio devient un seul personnage lorsqu’il réalise des histoires dessinées. C’est aussi touchant que désopilant. L’alchimie fonctionne. En général, chacun dessine et rédige le texte de son propre portrait en ayant travaillé auparavant au scénario et à la composition des planches ensemble. Certaines sont réalisées en duo. Cette exposition, c’est un génie, avec deux associés où rien ne cloche.
Philippe Ducat Crumb is Rembrandt: the same way of hatching to create shades of grey, a nervous yet magnificently precise line, a caricatural vision which dazzlingly reproduces the visual aspect of things, humans, animals, etc., with a particular taste for black and white.Take a tiny engraving by Rembrandt, enlarge it to poster format: a real eyecatcher. Do it with a Crumb and you will get the same result. The American adds a humorous dimension—also present in some of Rembrandt’s graphic works. His drawings are always full of spirit and exhilarating details. His composition is as good as that of Winsor McCay. No other cartoonist has had a comparable influence on major artists. Philippe Guston’s return to figuration around 1969 is imbued with Crumb’s grotesque imagery. Not to mention the paintings of Peter Saul. Incidentally, these artists have never made any secret of their deep admiration for Crumb’s art, which went from underground culture to so-called “major” art without passing through Purgatory. The distinction between the arts is senseless. Only two categories exist: good artists and bad ones—one might also include mediocre ones. What remains is subjectivity, in other words, conviction.
The exhibition presents the works of the Crumb trio: Aline, the mother, Sophie, the daughter, and Robert, the Holy Spirit. The two women, less well-known, nevertheless present a singular and remarkable body of work. Aline, née Goldsmith, studied in Tucson. In 1971, she debuted in Wimmen’s Comix, an anthology of women’s comic strips. In 1976, she published the Twisted Sisters comic with Diane Noomin: a single issue, now a collector’s item. In the 1980s, she was the editor of the legendary Weirdo. Her cartoons, illustrations and drawings were published in a retrospective edition, Love That Bunch, in 1990— expanded in 2018—by Drawn & Quarterly. Her ironic and teasing self-portraits are characteristic of the self-mockery that reigns within the family.The Crumbs do not take themselves seriously. They have not forgotten that they are a product of the counter-culture. Aline’s drawing is naive with the charm of a clumsiness that does not seek to conceal itself. Typical of that of fanzines.
Sophie fell into the comic book cauldron when she was a little girl. Her childhood drawings were published alongside her parents’ in Weirdo & Dirty Laundry Comics. In 2002, Belly Button Comix, a comic about her life in Paris at the age of 20, was published by Fantagraphics Books. Her skilful drawing—realistic in some colourful illustrations—is also cartoonish in her daily sketches and other comics. Her work is situated exactly between her father’s and her mother’s art, with its own distinctive character.
The trio becomes a single entity when they create drawn stories. It is as touching as it is hilarious. The alchemy operates. In general, each one draws and writes the text of their own portrait having previously worked on the scenario and composition of the plates together. Some pieces are created as duets. This exhibition is that of a genius, with two partners who are perfectly in sync.