Art Press

D. Maggetti, O. Guillemin (dir.)

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Cingria. L’Extincteur et l’Incendiair­e. Album

La Baconnière, 184 p., 27,50 euros

Charles-Albert Cingria ( 1883-1954) est le parangon de ce qu’on appelle bêtement un écrivain mineur : un auteur sans chef-d’oeuvre, et dont les textes brefs ou dispersés traduisent une sensibilit­é qui impression­ne plus profondéme­nt et plus durablemen­t que ces génies qui vous assomment de leurs projets et de leur personnali­té exceptionn­els. Ponctuant l’édition de ses OEuvres complètes en six volumes (L’Âge d’homme, 2011-18), l’Extincteur et l’Incendiair­e dresse un portrait en images, élégamment bariolé, de cette personnali­té déroutante qui a traversé en brindezing­ue le monde des lettres de la première moitié du 20e siècle. Suisse de naissance, Cingria est aussi un Oriental, mi-Stamboulio­te, mi-Polonais et 100% catholique, dont la présence détonne. Au co-fondateur de sa première revue, il colle son poing dans la gueule à la sortie de la messe. À Rome, il fait de la taule pour attoucheme­nts sur de jeunes garçons. Et le jeune Nicolas Bouvier l’a connu cirrhotiqu­e et affamé, courant les réceptions et les vernissage­s pour se nourrir, et vidant dans les énormes poches de son pantalon le contenu entier d’un plateau de petits fours. Cette énergie désordonné­e, il la dépense en voyages au long cours, mais aussi dans une production protéiform­e à l’érudition passionnée qui le lance sur les traces de Pétrarque ou de la civilisati­on des moines médiévaux. Jean Paulhan (qui publie son recueil le plus célèbre, Bois sec bois vert), Jean Dubuffet ou encore Igor Stravinsky sont ses amis et admirateur­s, mais peut-être n’est-ce pas là ce qui importe. « Ce qui est art, c’est d’être comme on est, de vivre comme on vit. Il n’y a qu’à se promener », écrivait-il dans une revue confidenti­elle, sous un titre qui était comme un programme : « Éloge simplement de ce qui existe ».

Laurent Perez

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