Alain Guiraudie Rabalaïre
P.O.L, 1 040 p., 29,90 euros
Seconde incursion du cinéaste Alain Guiraudie dans la littérature (après Ici commence la nuit, qui inspira l’Inconnu du lac), ce pavé de plus de 1000 pages est aussi stimulant que la Brigoule, gnôle aphrodisiaque et objet de toutes les convoitises dans l’une des multiples péripéties du roman. À la croisée de Guyotat et Manchette, ce polar porno-champêtre à l’accent occitan est un redoutable page turner, feuilletonesque à souhait malgré son absence de chapitrage. L’intrigue criminelle est prétexte au déploiement d’intrications entre Jacques, le narrateur, et une galaxie de personnages du cru, dressant un portrait à la fois réaliste et fantasque d’une France des laissés-pourcompte. L’action se situe dans un territoire escarpé dominé par le bien nommé col de l’Homme mort. Un territoire sauvage dans lequel Jacques, chômeur homosexuel à l’apparente bonhomie, s’aventure à vélo. À la suite d’un attentat islamiste en plein centre de Clermont-Ferrand où il s’est amouraché d’une prostituée, le voilà embarqué à son corps défendant dans un enchaînement de situations, toutes plus scabreuses les unes que les autres. Atteint d’érotomanie et de paranoïa chronique, le « rabalaïre » en question (un type qui a la bougeotte, en occitan) s’envoie en l’air aux quatre vents, découvrant son aptitude à « désirer des gens très différents » – prostituée, paysan, curé, jeune homme ou vieillards. Ça baise à tout va, dans un climat de suspicion généralisée où la mort rôde à chaque page. Du rabalaïre à Raskolnikov, il n’y a qu’un pas que Guiraudie franchit allégrement, tout en livrant des réflexions désenchantées sur l’état du monde. Les vivants se réconcilient avec les disparus, le désir et la jouissance forment l’antidote à la productivité tandis que l’amour et la mort dansent une bourrée lubrique.
Julien Bécourt