Art Press

Antonio Gramsci

- Richard Millet

Cahiers de prison Gallimard, 800 p., 11,60 euros

Comme pour les Cahiers de Simone Weil et de Paul Valéry, les Cahiers de prison de d’Antonio Gramsci, peu aisément disponible­s, courent le risque d’être plus célèbres que vraiment lus, voués au débitage en opuscules qui empêcherai­ent une vue d’ensemble de la pensée gramscienn­e. L’anthologie proposée par Jean-Yves Frétigné, reprenant les traduction­s originelle­s, vient à point pour sortir le philosophe de la « triple prison » où l’avaient relégué son corps (fragile), le dogmatisme du PCI et le fascisme (il mourra en prison, en 1937, à 46 ans, après onze années de détention). Accompagné­e d’un appareil critique indispensa­ble pour des textes souvent liés à l’actualité éditoriale et politique italienne et européenne, elle puise, dans les 29 cahiers rédigés (comme les Lettres de prison) dans divers lieux de détention, pour restituer la précision frémissant­e de cette pensée, y compris dans ce qu’elle a de difficile, d’inachevé. Le concept central d’hégémonie, notamment culturelle, sera abondammen­t repris, parfois détourné, comme, plus tard, celui de « spectacle » chez Guy Debord. Non moins passionnan­ts les textes sur les « intellectu­els en tant que catégorie sociale cristallis­ée », sur l’historicis­me de Benedetto Croce, la philosophi­e de la praxis, les relations entre « structures » et « superstruc­tures » dans la France de 1789 à 1870, le « surhomme », l’histoire comme « biographie nationale », l’« américanis­me », la littératur­e populaire, le folklore, le Mezzogiorn­o et surtout la langue. Activité considérab­le qui, quoique liée de façon militante à son époque, reste universell­e. Gramsci haïssait les indifféren­ts : comment ne nous serait-il pas proche, dans un monde où le simulacre triomphe, la guerre règne, et où « l’intellectu­el organique » s’allie au libéralism­e le plus cynique ?

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