Antonio Gramsci
Cahiers de prison Gallimard, 800 p., 11,60 euros
Comme pour les Cahiers de Simone Weil et de Paul Valéry, les Cahiers de prison de d’Antonio Gramsci, peu aisément disponibles, courent le risque d’être plus célèbres que vraiment lus, voués au débitage en opuscules qui empêcheraient une vue d’ensemble de la pensée gramscienne. L’anthologie proposée par Jean-Yves Frétigné, reprenant les traductions originelles, vient à point pour sortir le philosophe de la « triple prison » où l’avaient relégué son corps (fragile), le dogmatisme du PCI et le fascisme (il mourra en prison, en 1937, à 46 ans, après onze années de détention). Accompagnée d’un appareil critique indispensable pour des textes souvent liés à l’actualité éditoriale et politique italienne et européenne, elle puise, dans les 29 cahiers rédigés (comme les Lettres de prison) dans divers lieux de détention, pour restituer la précision frémissante de cette pensée, y compris dans ce qu’elle a de difficile, d’inachevé. Le concept central d’hégémonie, notamment culturelle, sera abondamment repris, parfois détourné, comme, plus tard, celui de « spectacle » chez Guy Debord. Non moins passionnants les textes sur les « intellectuels en tant que catégorie sociale cristallisée », sur l’historicisme de Benedetto Croce, la philosophie de la praxis, les relations entre « structures » et « superstructures » dans la France de 1789 à 1870, le « surhomme », l’histoire comme « biographie nationale », l’« américanisme », la littérature populaire, le folklore, le Mezzogiorno et surtout la langue. Activité considérable qui, quoique liée de façon militante à son époque, reste universelle. Gramsci haïssait les indifférents : comment ne nous serait-il pas proche, dans un monde où le simulacre triomphe, la guerre règne, et où « l’intellectuel organique » s’allie au libéralisme le plus cynique ?