LE HAVRE ET BIGNAN
Manuela Marques
MuMA / 5 mars - 8 mai 2022. Domaine de Kerguéhennec / 20 mars - 29 mai 2022
Au début était ce rayon vert ou bien cette onde opalescente qui s’étire à l’horizon, ruisselle entre les roches, s’accroche à l’orbe du soleil, à l’affût de l’ombre mouvante des nuages. Regarder les photographies de Manuela Marques (Portugal, 1959), c’est suivre la course de cette lumière furtive dont on ne sait si elle est céleste ou chtonienne, aquatique ou gazeuse. Elle est la couleur chimique et poétique de notre monde, celle qui éclaire nos nuits. L’objectif patient de l’artiste en capte les épanouissements invisibles, révélés par l’arc infini du spectre lumineux qu’il est presque impossible de voir à l’oeil nu, sauf peut-être sur cette éphémère feuille de papier argentée dont l’envolée filmée se pare d’une myriade de reflets scintillants, pareils à du mica. Au soir déclinant, la flaque d’eau devient ce bleu rêveur ténébreux éclairé par la pâleur laiteuse de la lune. Les plis de l’eau se fragmentent aussi sûrement que les facettes taillées d’un cristal luisent dans la nuit. Dans deux photographies d’une beauté surnaturelle ( Réfraction et Fusions, 2022), ce diamant parfait extirpé des entrailles de la terre fait écho à la pierre sous-marine qui dort dans le lit de reflets liquides. On ne sait plus s’il s’agit de terre ou de ciel, de lac ou de nuage. Nous sommes quelque part, sur l’archipel des Açores, dans l’embrasure de roches volcaniques, là où Marques est partie en résidence artistique en 2018 avant de poursuivre son exploration tellurique sur les sentiers du Domaine de Kerguéhennec. Mise à l’honneur à travers trois expositions parallèles dans le cadre de la saison France-Portugal, au Museo National de Arte Contemporanea do Chiado à Lisbonne, au MuMa du Havre et au Domaine de Kerguéhennec, l’artiste présente le résultat de ses expéditions photographiques au plus près des phénomènes naturels. Sur les « lignes de failles » titre l’exposition bretonne, là où la terre étreint le feu dans un rugissement volcanique lancinant que l’artiste a retranscrit dans une vidéo au diapason d’un défilé aléatoire de bandes d’enregistrements sismiques provenant du Centre de vulcanologie de l’université des Açores. Cette immense tapisserie visuelle s’intitule R.A.S (2019). Si l’exposition du Havre, ville côtière, s’intéresse plutôt au rapport de l’archipel portugais avec l’océan, celle de Kerguéhennec se penche sur la terre boueuse, son extraction et ses dérivations, sublimées dans des photographies où les strates géologiques donnent naissance à des abstractions argentées dans lesquelles les nuances de gris se dissipent dans les ténèbres basaltiques. Un espace entier est dédié au processus de l’irruption, depuis la source de lumière, lave en fusion, jusqu’au mur magmatique et aux mottes de terre. Les Açores deviennent un paysage fantastique, à la beauté aussi inquiétante qu’étincelante. Celle que la monté des eaux submergera peutêtre un jour. Marques capte ici le sentiment de précipice, la perfection avant le chaos. Éruptives et métamorphiques, ses photographies saisissent la beauté phénoménologique de notre monde.
Julie Chaizemartin
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In the beginning was a green ray or an opalescent wave that stretches to the horizon, streams between the rocks, clings to the sun’s orb, on the lookout for the shifting shadow of clouds.To look at photographs of Manuela Marques (Portugal, b. 1959) is to follow the course of this elusive light, without knowing whether it is celestial or chthonic, aquatic or gaseous. It is the chemical and poetic colour of our world, which lights up our nights. The patient artist’s camera captures the invisible flourishing, revealed by the infinite arc of the light spectrum that is almost impossible to see with the naked eye, except perhaps on this ephemeral sheet of silvery paper whose filmed flight is adorned with a myriad of glittering reflections, similar to mica. In the evening, the puddle of water turns a dark, dreamy blue, lit by the milky pallor of the moon. The folds of the water fragment as surely as the cut facets of crystal shine in the night. In two supernaturally beautiful photographs ( Réfraction and Fusions, 2022), this perfect diamond extracted from the bowels of the earth echoes the underwater stone that sleeps in the bed of liquid reflections. We no longer know whether it is land or sky, lake or cloud. We are somewhere in the archipelago of the Azores, in the landscape of volcanic rocks, where Marques did an artistic residence in 2018 before continuing her telluric explorations on the trails of the Domaine de Kerguéhennec. Showcased in three parallel exhibitions as part of the France-Portugal season, at the Museo National de Arte Contemporanea do Chiado in Lisbon, the MuMa in Le Havre and the Domaine de Kerguéhennec, the artist presents the results of her photographic expeditions as close as possible to natural phenomena. The Breton exhibition is based on “fault lines,” where the earth embraces fire in a raging volcanic roar that the artist has transcribed in a video against a backdrop of a random succession of tapes of seismic recordings from the Vulcanology Centre of the University of the Azores.This huge visual tapestry is called R.A.S (2019). Whereas the exhibition in Le Havre, a coastal city, focuses on the relationship between the Portuguese archipelago and the ocean, that of Kerguéhennec looks at the muddy land, its extraction and its derivatives, sublimated in photographs where the geological strata give rise to silvery abstractions in which shades of grey dissipate in the basaltic darkness. A whole space is devoted to the process of eruption, from the source of light, molten lava, to the magmatic wall and earth clods.The Azores become a fantastic landscape, whose beauty is as disturbing as it is brilliant. A beauty that the rising waters may one day submerge. Here Marques captures the feeling of a precipice, of perfection preceding chaos. Eruptive and metamorphic, her photographs capture the phenomenological beauty of our world.