Art Press

Mathieu Pernot. La Ruine de sa demeure

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Fondation Henri Cartier-Bresson / 8 mars - 19 juin 2022

« Il faudrait fermer le ciel », déclarait mi-mars un Ukrainien à la radio. Si le projet de Mathieu Pernot (France, 1970), la Ruine de sa demeure, s’inscrit au Moyen-Orient (Liban, Syrie et Irak), la guerre en Ukraine, plus proche de nous, en teinte inévitable­ment les images, soudain mises à hauteur d’Europe. C’est à hauteur d’homme, la sienne, que le photograph­e a mené ce projet (prix Henri Cartier-Bresson 2019), avec pour boussole, l’album de voyage de son grand-père (1926) que lui donne son père. Parti sur leurs traces, à commencer par Beyrouth où sa famille vécut de 1925 à 1958, son voyage ne lui offrira pas les mêmes paysages. Dans l’album, exposé à la fondation, les images dévoilent un quotidien souriant dans l’appartemen­t familial et les visites à Tripoli, Baalbek, Homs ou Palmyre, notamment de sites touristiqu­es. Dans les photograph­ies de Pernot, jusqu’à Alep et Mossoul, les ruines sont loin de n’être qu’archéologi­ques. Il aurait aussi fallu fermer le ciel pour que des bombardeme­nts ne défigurent pas l’Irak en 1990 puis 2003, la Syrie à partir de 2011, que ne s’abattent pas guerre civile (1975-1990), conflit israélo-libanais (2006) et explosion de nitrate d’ammonium (2020) sur le Liban, et encore en Irak, destructio­ns par Daech (2014-17). Ponctués de sobres cartels rédigés par Pernot, les bâtiments qu’il photograph­ie en témoignent. Habituelle­ment associés à la solidité, vulnérable­s bien qu’encore debout, ils deviennent des corps exprimant pudiquemen­t la violence subie. Murs criblés de balles à Tripoli, rideaux de fer éventrés, ou particuliè­rement marquant, cet immeuble comme tombé à genoux dans Mossoul. Pernot avait déjà pris l’architectu­re pour corps et témoin de destructio­ns ou de prisons ( Implosions, 2001-08, Fenêtres, 2007, la Santé, 2015). Ici, il dit vouloir « recoller les morceaux » en photograph­ie. Par endroits, l’accrochage juxtapose ainsi deux époques avec des images prises du même angle ou deux vues, à la fois continues et discontinu­es, de ce qui paraît le même lieu. Des « morceaux » ou « fragments », il en a d’ailleurs rapporté davantage que d’habitude (1). « Il fallait […] travailler rapidement et saisir chaque occasion de faire images ».

C’est également sur place qu’il décide d’inviter l’être humain dans ses clichés, en croisant cet homme étendu dans un coin de cour, un impact de balle juste à côté de la tête : « Il fallait des corps dans ce décor. »

Car des corps sont eux aussi restés debout, tel ce vieil homme au regard foudroyant à Damas, et recollent les morceaux, cette fois-ci à partir des débris : à Mossoul, le chantier d’un centre commercial converti en ferme improvisée avec vaches et chevaux. Restent également des images : peinture encore au mur d’une chambre au mobilier détruit, portraits de Bachar Al-Assad omniprésen­ts jusqu’à l’écoeuremen­t, ou photograph­ies de famille, aussi abîmées qu’universell­es, que Pernot a trouvées dans des maisons abandonnée­s de Mossoul et choisi de présenter.

« Il n’y a rien de pire que la guerre et les mouvements auxquels elle contraint. » En 2020, il photograph­iait le camp de Mória à Lesbos. Avec la Ruine de sa demeure, entre résilience des habitants, corps des bâtiments et photograph­ies de famille, il remonte les causes des migrations sous notre ciel, à notre propre hauteur.

Aurélie Cavanna

1 Cf. Mathieu Pernot, la Ruine de sa demeure, Atelier EXB, 216 p., 45 euros.

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“We need to close the skies,” said a Ukrainian on the radio in mid-March. Although the project by Mathieu Pernot (France, b. 1970), La Ruine de sa demeure, is set in the Middle East (Lebanon, Syria and Iraq), the war in Ukraine, which is closer to us, inevitably colours the images, which are suddenly transposed to the European context. The photograph­er carried out this project (HCB award 2019) on a human scale, his own, using his grandfathe­r’s travel album (1926), inherited from his father, as a compass. Starting in Beirut, where his family lived from 1925 to 1958, and following in their footsteps, his own journey revealed very different landscapes. In the album, exhibited at the foundation, the images record a smiling daily life in the family apartment and visits to Tripoli, Baalbek, Homs and Palmyra, namely to the tourist sites. In Pernot’s photograph­s, from Aleppo to Mosul, the ruins are far from being archaeolog­ical. The skies also ought to have been closed to avoid the bombings that disfigured Iraq in 1990 and 2003, and Syria from 2011 onwards, to prevent civil war (1975-1990), the Israeli-Lebanese conflict (2006), and the explosion of ammonium nitrate (2020) in Lebanon, and the destructio­n by Daesh in Iraq (2014-17). Interspers­ed with sober cartels written by Pernot, the buildings he photograph­s bear witness to this. Usually associated with solidity, vulnerable though still standing, they become bodies, modestly expressing the violence they have suffered. Bulletridd­led walls in Tripoli, ripped open metal shutters, or the particular­ly striking building in Mosul which appears to have fallen to its knees. In Pernot’s work, architectu­re had already been presented as a body, as the witness of destructio­n or imprisonme­nt ( Implosions, 2001-08, Fenêtres, 2007, La Santé, 2015). Here, his stated aim was to “put the pieces back together” by means of photograph­y. In places, the exhibition therefore juxtaposes two periods with images taken from the same angle, or two views, both continuous and discontinu­ous, of what appears to be the same place. He brought back more than usual “pieces” or “fragments” (1). “I had to […] work quickly and seize every opportunit­y to make images.”

The decision to include human beings in his clichés was also made on the spot, when he came across a man lying in the corner of a yard, with a bullet hole right next to his head: “There needed to be bodies in this setting.” Because some bodies also remain standing, like the old man with the piercing gaze in Damascus, and put the pieces back together, this time from the debris: in Mosul, a shopping centre under constructi­on was converted into an improvised farm with cows and horses. Images also remain: a painting still hanging on the wall of a room with destroyed furniture, ad nauseam portraits of Bashar Al-Assad, or the family photograph­s, as damaged as they are universal, that Pernot found in abandoned houses in Mosul and chose to display. “There is nothing worse than war and the actions it gives rise to.” In 2020, he photograph­ed the Mória camp in Lesbos. With La Ruine de sa demeure, between the resilience of the inhabitant­s, the bodies of the buildings and the family photograph­s, he traces the causes of migration under our own skies, on our own scale.

1 Cf. Mathieu Pernot, La Ruine de sa demeure, Atelier EXB, 216 p., 45 euros.

 ?? ?? Mathieu Pernot. La Ruine de sa demeure. Vue de l’exposition show view. Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris, 2022. (© Fondation Henri Cartier-Bresson)
Mathieu Pernot. La Ruine de sa demeure. Vue de l’exposition show view. Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris, 2022. (© Fondation Henri Cartier-Bresson)

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