Guillaume Basquin splendeurs et miseres
Guillaume Basquin L’Histoire splendide Tinbad, 338 p., 23 euros
Livre palimpseste, l’Histoire splendide de Guillaume Basquin parcourt l’histoire universelle pour mieux éclairer les impasses du temps présent.
Voici sans doute le plus inactuel des livres, au sens où Nietzsche parlait d’inactualité pour définir ce qui avait la force de s’affranchir du temps pour rejoindre l’histoire universelle. Telle est moins l’ambition de Guillaume Basquin que son désir, c’est-à-dire sa révolte. Partir des temps présents pour renouer avec la circularité de l’histoire ; c’est-à-dire avec ses errements, ses déboires et ses rares épiphanies, car l’histoire toujours est tragique. En intitulant son livre l’Histoire splendide, l’auteur emprunte à Arthur Rimbaud l’un de ses projets inachevés, et accomplit en littérature un geste analogue à celui de Jean-Luc Godard lorsqu’il compose ses Histoire(s) du cinéma. Disons pour commencer que ce livre est à la fois un dispositif de lecture, c’est-à-dire qu’il repose sur un principe de plaisir toujours renaissant, et un acte de résistance. Un dispositif de lecture qui s’inscrit dans la droite ligne des expérimentations de ce que le 20e siècle a produit de plus révolutionnaire : le cubisme qui voulait en finir avec l’espace contraignant de la représentation ou de la perspective, le cut up, l’action painting d’un Jackson Pollock dont les tableaux, comme le suggéra un critique, n’avaient ni commencement ni fin, mais surtout l’écriture percurrente telle que définie par Philippe Sollers dans Vision à New York. « Ce livre ne sera pas comme (L)ivre de papier, prévient d’entrée de jeu son auteur, composé de chapitres avec échafaudages rendus visibles mais de plateaux – ces plateaux auront des vitesses très différentes & seront composés de manières diverses – ce sera un tourbillon génial & archangélique. » À la téléologie de l’histoire, qui n’est pas sans lien avec la « rection généralisée de la langue » qui pour Roland Barthes définissait le fascisme, Basquin oppose la circularité analogique des énoncés et des images ; une ritournelle textuelle dans la lignée du motif rhizomatique de Gilles Deleuze et Félix Guattari ou des avantgardes telquéliennes auxquelles il ne cesse de rendre hommage : « Notre actualité sera telquélienne ou ne sera pas ! » Le programme est moins de construire, à la façon de Marcel Proust, un roman-cathédrale qu’une « sphère d’amour parfaite », et l’on imagine réinventée !
POUBELLICATION
Le dispositif de lecture est en soi un acte de rébellion où l’on voit l’auteur se révolter contre la « poubellication » et une forme d’amnésie que l’on peut accoler à tout ce qui se revendique du contemporain. Ce livre n’a pas d’intrigue, mais il les contient toutes. Il ne tient la dragée haute à aucun personnage, mais il convoque les plus glorieux d’entre eux, qu’ils appartiennent à l’histoire littéraire, artistique ou à la grande histoire : Anna Karénine et son génial inventeur Tolstoï, Napoléon, Leopold et Molly Blum, Ulysse, mais aussi le docteur Semmelweis auquel Céline consacra sa thèse d’étudiant en médecine, et dût-on en fâcher quelques-uns, le professeur Didier Raoult. « Semmelweis, nous rappelle Basquin, ce mé
decin obstétricien hongrois qui démontra l’utilité du lavage des mains après la dissection d’un cadavre avant d’effectuer un accouchement & qui prouva également que l’hygiène des mains diminuait le nombre des décès causés par la fièvre puerpérale des femmes parturientes. » Le professeur Raoult pour avoir respecté à la lettre le serment d’Hippocrate et continué de soigner ses malades.
Car ce livre, en grande partie rédigé pendant l’épidémie de SARS-CoV-2 – dont l’auteur nous rappelle qu’elle est, en vertu de son étymologie, un projet politique par définition coercitif –, prend aussi date du basculement dans une société de contrôle désormais numérisée, une nouvelle forme de biopouvoir que l’auteur n’hésite pas à qualifier de totalitaire. « Le covidisme est la nouvelle religion de l’An 2020, écrit Basquin,– et sa radicalisation intolérante (rejet des non-croyants) est la Nouvelle Saint-Barthélemy : on ne tue plus les Protestants / mais on veut exclure les covido-sceptiques de la société / c’est-à-dire les tuer socialement. » Là où d’aucuns crieront au complotisme, d’autres y verront sans doute un discours de résistance dont l’histoire nous montrera s’il était ou non visionnaire. La troisième partie du livre intitulée «Terreur » est placée sous le patronage de Céline, le seul à avoir perçu à son retour d’URSS la terreur stalinienne à venir. Pour Basquin, qui clôt l’Histoire splendide par un « Journal de CONfinement » écrit à la hache, un bas instinct est à l’oeuvre lors de la crise dite sanitaire, qui s’avère plutôt être une crise de civilisation : les instincts de l’homme-loup annihilant des principes démocratiques chèrement acquis.
Face au totalitarisme qui vient, ayant d’ores et déjà supplanté la splendeur du Verbe incarné par des images numériques fossilisées, l’auteur oppose sa prose poétique pour le siècle des siècles : « Aujourd’hui on anesthésie le monde avec des images numériques / c’est-à-dire congelées – il est grand temps de redonner au Verbe toute sa splendeur originelle : or la terre était vide & vague / les ténèbres couvraient l’abîme ». Et l’auteur de rendre hommage aux amis indéfectibles, aux compagnons de route de sa revue les Cahiers de Tinbad, à son épouse Christelle et à leurs deux filles Juliette et Ninon, aux prénoms synonymes d’affranchissement et de liberté : « Rien ne peut nous entraver & nous jouissons libres & sans entraves / mais avec descendance (Juliette et Ninon) ». Histoire de se souvenir de ce que purent les poètes en temps de détresse.