Sophie Jaussi
Philippe Forest, l’autre côté du savoir Kimé, 552 p., 38 euros
Nos lecteurs savent quelle place artpress accorde depuis longtemps à l’oeuvre de Philippe Forest. Autant la biographie d’un écrivain vivant n’est pas opportune – soupçon d’un contrôle exercé sur le travail du biographe, et le dernier mot de la vie de l’écrivain n’étant pas encore dit –, autant son oeuvre, toujours en cours, qui s’avère déjà comme une des plus marquantes de son époque, appelle l’éclairage d’un examen critique approfondi. Ne soyons pas surpris qu’il ait fallu à Sophie Jaussi, maître-assistante à l’université de Fribourg, pas moins de cinq cents pages d’un essai pour rendre compte de la complexité, de la singularité totale de cette oeuvre. Il allait de soi que des éléments de la biographie de l‘auteur fussent convoqués. L’essai de Sophie Jaussi débute ainsi par une analyse des liens entretenus entre la tâche de l’enseignant, du lecteur, bientôt de l’essayiste que fut d’abord Forest (son livre sur Philippe Sollers en 1992, son Histoire de Tel Quel en 1995) et le travail du romancier. L’événement décisif de la vie de Forest fut la mort de sa petite fille, en 1996 ; Sophie Jaussi montre au long d’une analyse serrée du contenu des romans, de leurs formes inédites et sans cesse renouvelées, à quel point cette mort en constitua la matière radioactive. Les grands thèmes traités : l’impossible, l’expérience du Réel, le jeu entre vérité et fiction, la place et la consistance du « je » du romancier, l’amour, le deuil, le non-savoir, le Temps. Sophie Jaussi conclue ainsi avec prudence sa longue pérégrination dans l’oeuvre de Forest : « Il n’y a pas de clé d’interprétation ultime pour les entreprises littéraires un peu têtues – juste quelques portes d’entrée. J’ai choisi la mienne. » Qu‘elle sache qu’elle permet d’en ouvrir bien d’autres aux lecteurs de Forest.