Sally Bonn
Écrire écrire écrire Arléa, 192 p., 17 euros
« Il y a écrire et écrire » : de cette fausse évidence héritée de Kafka, Sally Bonn a tiré un ouvrage hybride qui fait un point sensible et subjectif sur ses recherches d’historienne de l’art contemporain, spécialiste du texte dans l’oeuvre plastique et des écrits d’artistes. Entre la liste de courses que Céleste Albaret griffonne dans un carnet de Proust et une pratique plus cultivée sinon plus noble, attachée à la transmission esthétique de la pensée et de l’émotion, on retrouve en effet l’expérience commune du geste de l’écriture, de la main appliquée à tracer des lettres sur un support. Sur ce geste, son histoire et sa performance, Sally Bonn a mené l’enquête, interrogeant d’abord ses souvenirs d’enfant graphomane et ses habitudes d’autrice accumulatrice, passionnée de traces et de tracés, mais aussi les procédures d’amis et d’amies écrivains, afin de dresser une sorte d’inventaire méthodique et très concret (tables de travail, lieux, stylos, papiers…) qui n’est pas sans rappeler la Préparation du roman de Roland Barthes, d’ailleurs mentionné. Le parcours s’inscrit dans une généalogie voyageuse, qui conduit l’autrice devant le célèbre Scribe accroupi du Louvre ; à la Bibliothèque humaniste de Sélestat où est conservée la collection de l’érudit Beatus Rhenanus, l’ami et le premier éditeur d’Érasme ; ou dans le quartier du Panier, à Marseille, dans l’atelier de typographie où Éric Pesty produit en caractères de plomb un des plus beaux catalogues de la poésie contemporaine en France. Au gré d’allers et retours entre le corps de l’autrice et son environnement saturé de tracés et de graphèmes, elle revient à son « métier » de critique et d’historienne, reformulant au passage la question dont on comprend qu’elle occupe le coeur de son interrogation : « Écrire sur, est-ce écrire ? »