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PHILIBERT ET MARGUERITE OU L’AMOUR FLAMBOYANT PHILIBERT AND MARGUERITE, OR FLAMBOYANT LOVE

Il est des lieux où le patrimoine côtoie de confidenti­elles oeuvres d’art moderne. Au fil des ans, nous avons eu l’opportunit­é d’en visiter. Le monastère royal de Brou, qui conserve une sculpture emblématiq­ue mais peu connue de Richard Serra, en fait part

- Richard Leydier

Il y a quelques années (voire quelques décennies), j’ai assisté à une conférence de Maurice Fréchuret sur son livre le Mou et ses formes (Jacqueline Chambon, 1993) au monastère royal de Brou, à Bourg-enBresse, dans une salle tendue de tentures, et non chauffée. C’était un hiver glacial. L’édifice abrite un musée (il comprend dans sa collection des oeuvres de Brueghel de Velours, David Teniers ou Simon Hantaï), mais il constitue surtout un des plus beaux exemples du gothique flamboyant en France. Il fut bâti au début du 16e siècle par la grâce de Marguerite d’Autriche, tante du futur empereur Charles Quint, afin d’abriter le tombeau de Philibert II de Savoie (14801504) – dont elle fut veuve très jeune –, celui de la mère du défunt, Marguerite de Bourbon, et le sien.

Dans l’église Saint- Nicolas- deTolentin, édifiée par Louis van Bodeghem, deux tombeaux richement sculptés en haut-relief s’affrontent : ceux de Philibert et Marguerite, amenés à s’aimer par-delà la mort. Quelques années plus tard, je découvrira­i le château de la Napoule près de Cannes, propriété du milliardai­re et sculpteur américain Henry Clews (1876-1937) dont les sculptures étranges ont sans aucun doute influencé George Lucas pour Star Wars. Dans la chapelle de la Napoule, plantée au bord de la Méditerran­ée, se tiennent deux tombeaux à l’allure minimale. Celui d’Henry est entrouvert pour que l’esprit du propriétai­re des lieux ait la possibilit­é de visiter sa femme une fois les derniers visiteurs partis.

DEUX AMANTS

Il y a quelques sculptures contempora­ines à Brou, dont notamment les créations massives d’Ulrich Rückriem. Mais le promeneur curieux retiendra surtout Philibert et Marguerite (1985) de Richard Serra, soit deux blocs d’acier Corten qui se font face dans le cloître. Je ne saurais dire combien chacun pèse, mais ils paraissent plus lourds que les pierres de Rückriem. Ils m’évoquent le Big Bang, les premières secondes de l’univers réduit à un point extrêmemen­t massif, juste avant l’explosion et l’expansion. Il y a bien quelque chose de puissammen­t magnétique entre ces deux blocs qui sont comme deux aimants (deux amants ?), si bien qu’on n’ose s’immiscer entre eux de peur d’être subitement écrasé.

On demeure donc sagement sur les bords du cloître.

C’est en fait assez magistral. J’ai vu cette oeuvre il y a une trentaine d’années et je m’en souviens encore, comme si c’était hier. Avec deux parallélép­ipèdes de métal, qui ont presque la présence hiératique du monolithe de 2001, l’odyssée de l’espace, et espacés d’une cinquantai­ne de mètres, Serra parvient à susciter en nous l’idée du sentiment amoureux, qui joue une gamme assez large, de l’attirance fatale aux tensions inévitable­s. Sa sculpture nous rappelle que dans l’église à côté gisent les corps de deux âmes soeurs dont l’un fut fauché trop tôt. À l’époque, on savait scénariser son amour, si tant est qu’on en avait les moyens. De nos jours, il y a Dubaï et Instagram. C’est beaucoup moins flamboyant.

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There are places where heritage meets classified works of modern art. We have had the opportunit­y to visit some of them over the years. Amongst them is the Royal Monastery of Brou, whose collection includes an emblematic but little-known sculpture by Richard Serra.

A few years (or even decades) ago, I attended a lecture by Maurice Fréchuret about his book le Mou et ses formes (Jacqueline Chambon, 1993) at the Royal Monastery of Brou, in Bourg-en-Bresse, in an unheated room covered in hangings. It was a freezing cold winter. The building accommodat­es a museum (its collection includes works by Jan Brueghel the Elder, David Teniers and Simon Hantaï), but above all, it is one of the finest examples of the Flamboyant Gothic style in France. It was built at the beginning of the sixteenth century by the grace of Marguerite d’Autriche, the aunt of the future Emperor Charles V, to house the tomb of Philibert II of Savoy (14801504), who left her a widow at a young age, that of the deceased’s mother, Marguerite de Bourbon, and her own. In the church of SaintNicol­as-de-Tolentin, built by Louis van Bodeghem, two richly carved tombs in high relief are placed opposite each other: those of Philibert and Marguerite, whose love endured after death. A few years later, I discovered the Château de la Napoule near Cannes, owned by the American billionair­e and sculptor Henry Clews (1876-1937), whose strange sculptures undoubtedl­y influenced George Lucas’ Star Wars. The Chapelle de la Napoule, on the edge of the Mediterran­ean Sea, contains two minimalist tombs. Henry’s one is open to enable the owner of the place to visit his wife once the last visitors have left.

TWO LOVERS

There are some contempora­ry sculptures in Brou, including the massive creations of Ulrich Rückriem. But the curious visitor will be especially struck by Philibert et Marguerite (1985) by Richard Serra, two blocks of Corten steel which face each other in the cloister. I couldn’t say how much they each weigh, but they seem heavier than Rückriem’s stones.They remind me of the Big Bang, the first seconds of the universe reduced to a point of imposing mass, just before the explosion and expansion. The two blocks exert a powerful pull on each other, like two magnets (two lovers?), to the extent that one does not dare to intrude between them for fear of being suddenly crushed. So we remain wisely on the edges of the cloister.

It is a masterful piece. I first saw it about 30 years ago and I still remember it as if it were yesterday. By means of two metal parallelep­ipeds spaced approximat­ely fifty metres apart, which recall the hieratic presence of the monolith in 2001: A Space Odyssey, Serra manages to convey the idea of the feeling of love, which encompasse­s rather a wide range of emotions, from fatal attraction to inevitable tension. His sculpture reminds us that the bodies of two soulmates lie in the church next door, one of whom was struck down in his prime. Back then, people knew how to stage their love, if they could afford it. Nowadays, we have Dubai and Instagram. It’s much less flamboyant.

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Monastère royal de Brou. Bourg-en-Bresse. En haut top tombeaux de Philibert et Marguerite tombs. En bas below vue extérieure exterior view.
(© CMN / Franck Paubel 2019). Page de droite right page:
Richard Serra. Philibert et Marguerite (détail). 1985. Cloître du cloister of monastère royal de Brou, Bourg-enBresse
Cette page this page: Monastère royal de Brou. Bourg-en-Bresse. En haut top tombeaux de Philibert et Marguerite tombs. En bas below vue extérieure exterior view. (© CMN / Franck Paubel 2019). Page de droite right page: Richard Serra. Philibert et Marguerite (détail). 1985. Cloître du cloister of monastère royal de Brou, Bourg-enBresse
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