Christian Garcin
Une odyssée pour Denver Champ Vallon, 112 p., 15 euros
Christian Garcin, connu pour ses récits de voyage, se défend néanmoins d’être un « écrivain voyageur ». Et il le prouve encore, superbement, avec cette odyssée. La Denver du titre ne désigne pas une ville mais la soeur décédée de Norwich Restinghale, personnage central d’un précédent roman, Du bruit dans les arbres. Nul besoin de connaître ce dernier cependant pour suivre le périple mémoriel du frère marchant dans l’ex-Yougoslavie sur les traces de sa soeur. Le récit entier s’organise logiquement selon un principe digressif généralisé où les réminiscences se croisent et se chevauchent constamment. Tout dans ce pays en train de se décomposer (le récit est situé en 1993), dans ce paysage de plus en plus vert à mesure qu’il s’éloigne de la côte croate et qu’il s’enfonce dans une Serbie agricole parsemée de monastères, tout lui rappelle sa soeur : les silhouettes féminines, le relief et la couleur verte surtout qui entre en écho avec les sonorités du prénom Denver. Une fillette jouant à la marelle comme l’odeur de moisi des rues de Venise ou de Prague, une fresque de Jules Romain représentant un Géant enseveli sous les décombres comme les saints martyrs ornant les églises qu’il visite, chaque lieu, chaque situation le renvoie à une sensation et une situation identiques vécues ailleurs. L’esprit du narrateur ne cesse d’être le jouet de cette mémoire involontaire dont parlait Proust et qui dessine ici un voyage intérieur. L’ensemble s’achève sur la puissante évocation d’une descente dans les catacombes de Palerme, véritable catabase, où il est frappé par l’image d’une enfant défunte lui rappelant à nouveau sa soeur. Une intuition s’impose alors et emporte toute la fin du récit : la beauté du monde n’est qu’une pellicule recouvrant à peine le néant derrière le vivant. Du grand art funéraire !