Marina Seretti
Endormis
Les Presses du réel, 392 p., 32 euros
Philosophe, artiste et historienne de l’art, Marina Seretti s’interroge sur la métaphore omniprésente du sommeil profond – trop souvent oublié par notre culte de la performance. Il est plaisant de circuler en sa compagnie parmi les figures emblématiques du sommeil, contempler les nombreuses reproductions d’oeuvres d’art qui les mettent en scène et se référer aux discours qui les convoquent : mythes, littérature et traités de médecine. Avant d’être une métaphore, et d’abord celle de la mort comme « dormition », le sommeil est une réalité qui préoccupe surtout les insomniaques. Un sommeil profond, sans rêve, ne serait-il pas préférable à celui qu’agite les songes ? Pourquoi un devoir de vigilance devrait-il s’opposer à la jouissance de sombrer dans une léthargie pleine d’exquises langueurs ? L’art de la Renaissance offre pléthore de corps endormis, abandonnés aux regards et plus ou moins dévoilés. Leur érotisme passif donne la part belle au sommeil. Mais que peut signifier la représentation des endormis ? La Belle au bois dormant a décliné au 17e siècle, en l’affadissant, un conte médiéval, l’histoire d’un sommeil merveilleux et d’un abandon virginal. Et les dormeuses désirables qui font souvent l’objet de la pulsion scopique de satyres s’opposent au repos fatal d’un guerrier quand Samson ou Holopherne endormis deviennent la proie de femmes puissantes. Avec Hypnos, Éros rencontre Thanatos : « guillotine douce, le sommeil fait de nous des aspirants acéphales » (Jacqueline Risset). Pour finir, on découvre que l’un des défis de la peinture est de distinguer la torpeur due à la parenthèse vitale qu’est le sommeil de la figuration d’un cadavre privé de vie, même si celui-ci est censé ressusciter, tandis que de nombreux gisants sculptés figurent des endormis. Cet essai érudit nous tient agréablement en éveil.