Pablo Reinoso. Débordements
Domaine national de Chambord / 1er mai - 4 septembre 2022
Pablo Reinoso (Argentine, 1955) fait de la sculpture une forme joueuse, perturbatrice, modifiant instamment l’axe de nos regards. Celle-ci part souvent d’un objet usuel, un banc par exemple, qui sera conservé tel quel mais d’où d’étonnantes excroissances vont surgir, le prolongeant dans l’espace, l’ouvrant à celui-ci en le développant comme s’épanouit dans l’air, à la manière d’un végétal, la fameuse bouteille sculptée du futuriste Umberto Boccioni. L’artiste, encore, s’est fait une spécialité des volumes « respirants », des coussins qu’il équipe de ventilateurs électriques : la matière vit, élabore son rythme. La sculpture ? Objet inerte, sûrement pas. Plutôt un élément interposé entre le regard et le reste du monde, en interlocuteur. Cette intervention à Chambord, dans le château et ses jardins, est de taille : une cinquantaine d’oeuvres, peintures mais aussi, et surtout, sculptures, dont la moitié sont inédites. Pablo Reinoso, qui l’a opportunément intitulée Débordements, y noue un dialogue intrigant avec ce considérable héritage du patrimoine qu’est le joyau architectural de François Ier. Chaque oeuvre, immanquablement, répond à sa « situation »
dans le lieu, s’en inspire tout en y ajoutant son propos. On croyait Chambord, ses tours, ses clochetons, ses cheminées, ses perspectives, intouchable ? L’artiste, avec un sens inné du jeu et sans complexe, ne se prive pas d’en métamorphoser les lieux, dehors comme dedans. Les jardins à la française, çà et là, voient ainsi leur légendaire orthogonalité remise en question par des sculptures aux perspectives déroutantes. Certaines peuvent être mises en mouvement par les spectateurs, à l’image des chaises basculantes à haut dossier de l’artiste. Une autre de ces sculptures en extérieur, à l’élévation hélicoïdale, inspirée par le célèbre escalier à double volée du château sur lequel pèse l’ombre de Léonard de Vinci, convie le spectateur à regarder vers le ciel et non plus uniquement vers l’horizon où l’aspire d’ordinaire la géométrie cartésienne et plane des jardins : Révolution végétale (d’après Léonard). Opérer à rebrousse-poil ? Enrichir et transcender avec liberté, en l’occurrence. Jusqu’à ce geste audacieux, tirant parti de l’inconvénient des rénovations dont le château fait actuellement l’objet, et qui le défigurent. Une des tours de l’édifice est-elle couverte d’échafaudages ? L’artiste la colonise à son tour au moyen d’une gigantesque peinture aux airs de plante grimpante, sa signature, la preuve aussi de ses pouvoirs transformateurs. Un mot encore de la sculpture respirante À bout de souffle, insérée au coeur même de l’escalier du château, dans son puits central, à la verticale, métaphore de l’effort pulmonaire que requiert l’ascension : originalité, àpropos, subtilité de l’implantation, une surprenante réussite.
De mai à juillet, la galerie parisienne Renos Xippas avait consacré à l’artiste sa première exposition dans ses espaces du Marais, avec une offre aussi généreuse que bienvenue.
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Pablo Reinoso (Argentina, b. 1955) makes sculpture a playful, disruptive form, insistently altering the axis of our gaze. This often starts with an everyday object, a bench for example, which is kept as is but to which astonishing excrescences are added which prolong it in space, opening it up by developing it, reminiscent of the famous sculptured bottle by the futurist Umberto Boccioni which blossoms in the air like a plant. Here again, the artist has specialised in “breathable” volumes, cushions that he equips with electric fans: the substance lives, develops its own rhythm. A sculpture? It is certainly not an inert object. More like an element interposed between the gaze and the rest of the world, as an intermediary.
This intervention in Chambord, in the castle and its gardens, is sizeable: about fifty works, some paintings but especially sculptures, half of which had never been exhibited before. Pablo Reinoso, who aptly entitled the exhibition Débordements, engages in an intriguing dialogue with this significant heritage site that is François I’s architectural jewel. Without fail, each work responds to its “situation,” drawing inspiration from it whilst adding its own intentions. Did we imagine Chambord, its towers, its steeples, its chimneys, its perspectives, to be untouchable? With an innate sense of play and self-assuredness, the artist does not hesitate to transform the settings, inside and out. The legendary orthogonality of the French gardens is challenged, here and there, by sculptures with confusing perspectives. Some can be set in motion by the spectators, like the artist’s high-back rocking chairs. Another of these outdoor sculptures, with a spiral elevation, inspired by the famous double helix staircase of the castle which is haunted by the shadow of Leonardo da Vinci, invites the spectator to look towards the sky and not only towards the horizon where the flat, Cartesian geometry of the gardens usually draws the eye: Révolution végétale (d’après Léonard). Working against the grain? Freely enriching and transcending it, in this case. Including the bold choice which takes advantage of the inconvenience of the castle’s current renovations, which disfigure it. One of the building’s towers is covered with scaffolding? The artist colonises it in turn by means of a gigantic painting that resembles a climbing plant, his signature, and also another proof of his transformational powers. A last word about the breathing sculpture À bout de souffle, vertically installed in the very heart of the castle’s staircase, in its central well, a metaphor for the pulmonary effort required for the ascent. Originality, appropriateness, subtlety: a surprising success.
From May to July, the Parisian gallery Renos Xippas devoted its first exhibition to the artist in its Marais spaces, with an offer that was a generous as it was welcome.