Chris Ware
Centre Pompidou / 8 juin - 10 octobre 2022
Revoir une exposition dans un cadre différent constitue toujours une aventure étonnante. Pour qui a découvert l’exposition Chris Ware dans l’espace Franquin du dernier festival de la bande dessinée d’Angoulême, la revoir à la BPI du Centre Pompidou constitue une belle expérience à plus d’un titre. À l’excitation de la découverte dans le cadre foisonnant du festival succède le plaisir d’une promenade tranquille et contemplative qu’on aura loisir de réitérer entre deux moments de recherche ou lecture. Constatons aussi que le cheminement dans cette enclave cubique et sa configuration spécifique (des cloisons fréquemment ajourées par une vitrine ou une ouverture) conviennent parfaitement au sens aigu de la géométrie et de l’architecture de l’artiste. Il serait vain de vouloir comparer les corpus des deux expositions car l’essentiel demeure cette chance redoublée de pouvoir accéder au génie discret de Chris Ware (États-Unis, 1967) qui, depuis plusieurs décennies, élabore patiemment une oeuvre qui a su réinventer la bande dessinée et certainement notre rapport aux arts graphiques en général.
Nous sommes accueillis par le Présentoir Acme Novelty Library, planche originale réalisée avec encre, crayon et gouache aux dimensions imposantes qui nécessitent que nous nous approchions pour mieux comprendre de quoi il retourne : le travail acharné d’une multitude de petites souris qui s’ingénient à fabriquer des bulles, des cases, à insérer les premières dans les secondes. On aura reconnu là le personnage iconique Quimby the Mouse, hommage tendre et postmoderne de Chris Ware aux comics des origines. Ce balancement entre l’infiniment grand, voire le monumental, et l’infiniment petit constitue une clé d’accès au monde de l’artiste qui pense la bande dessinée comme un univers étendu, suscitant une multitude d’objets amoureusement imaginés et conçus dont on peut découvrir juste après un échantillon dans une vitrine adjacente avec visionneuse de
Cette page this page: Chris Ware. Building Stories - Spring. 2012.
(© Chris Ware). Page de gauche, de haut en bas left from top: Marine Hugonnier. Apicula Enigma. 2013. Film 16mm. (Court. NoguerasBlanchard, Madrid, Barcelone). Antonio Negri. 2020. Film 35mm. (Court. l’artiste ; © M. Hugonnier) films, figurine bicéphale de Quimby the Mouse, distributeur/présentoir de livres ou encore minuscule exemplaire de BD. Autant de traces surprenantes de l’univers Acme, ce projet global qui permet à Chris Ware de penser chaque oeuvre dans un dessein d’ensemble génialement intuitif qui donne une cohérence absolue au dialogue entre hommage aux grands pionniers et recherches novatrices. Aux côtés des planches originales dans lesquelles l’oeil se promènerait volontiers un long moment tant il y a à apprivoiser de lectures (on peut citer la très drôle « Ruin your life : draw cartoons and doom yourself »), on découvrira aussi de superbes couvertures du New Yorker, des études et dessins de travail ou encore des puzzles, des séries de figurines en bois peint, des maquettes dont celle de la maison de l’album concept Building Stories. À l’entame de la très belle monographie Chris Ware, la bande dessinée réinventée (Les impressions nouvelles, 200 p., 29 euros), Jacques Samson et Benoît Peeters résument parfaitement notre expérience : « Les sensations de la vie palpitent au gré d’une conscience sans grandeur ni petitesse, avec la complicité irremplaçable d’images dessinées quasiment comme des pictogrammes. »
Jean-Jacques Manzanera
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Revisiting an exhibition in a different setting is always a surprising adventure. For those who discovered the Chris Ware exhibition at the Espace Franquin during the last Angoulême comic strip festival, seeing it again at the BPI of the Centre Pompidou will be a great experience, in more ways than one. The excitement of discovery in the rich setting of the festival gives way to the pleasure of a quiet and contemplative walk that we will have time to repeat between two moments of research or reading. We also note that the circuit in this cubic enclave, as well as its specific configuration (partitions frequently pierced by windows or openings) are perfectly suited to the artist’s acute sense of geometry and architecture. It would be vain to compare the contents of the two exhibitions because the essential thing is this twofold opportunity to access the discreet genius of Chris Ware (USA, b. 1967) who, for several decades, has been patiently developing a body work that has reinvented comics, and undoubtedly our relationship to the graphic arts in general.
We are greeted by the Présentoir Acme Novelty Library, an original ink, pencil and gouache board with impressive dimensions that requires us to get closer to better understand its subject matter: the hard work of a multitude of little mice who are making bubbles and boxes, inserting the first into the second. We recognise the iconic character Quimby the Mouse, Chris Ware’s tender and postmodern tribute to the original comics. This balance between the infinitely large, even monumental, and the infinitely small is a key to access the world of the artist, who thinks of comics as an extended universe, evoking a multitude of lovingly imagined and designed objects, a sample of which can be discovered just afterwards in an adjacent display case with a movie viewer, Quimby the Mouse’s two-headed figurine, a book distributor/display and even a tiny comic book. With so many surprising traces of the Acme universe, this is a global project that allows Chris Ware to think of each work in terms of an ingeniously intuitive overall design that gives absolute coherence to the interplay between a homage to the great pioneers and innovative research. Alongside the original plates, on which the visitor would gladly linger given the richness of the material (we quote the very funny “Ruin your life: draw cartoons and doom yourself”), there are also superb New Yorker covers, studies and working drawings, puzzles, series of painted wooden figurines, and models, including that of the house from the concept album Building Stories. At the beginning of the beautiful monograph Chris Ware, la bande dessinée réinventée (Les impressions nouvelles, 200 p., 29 euros), Jacques Samson and Benoît Peeters perfectly sum up the visiting experience: “The sensations of life palpitate through a consciousness without greatness or smallness, with the irreplaceable complicity of images drawn almost like pictograms.”