Art Press

LANCELOT HAMELIN d’un monde à la dérive

- Christophe Fiat

Lancelot Hamelin

J’ai heurté savez-vous d’incroyable­s Florides Gallimard, « L’arpenteur », 392 p., 22,50 euros

Sous ses airs de roman classique avec ses personnage­s bien campés dont le principal protagonis­te, Philippe, qui est un universita­ire français débarquant à Miami, le roman de Lancelot Hamelin dissimule une critique féroce de notre époque résumé une phrase : « À présent, le virus unifiait le monde. » Le virus ici, bien entendu, est celui qui provoqua la pandémie mondiale de 2020 mais il est aussi allégoriqu­ement ce qui infecte les esprits et conduit les individus aux théories du complot, voir même au fascisme, ce qui est le cas de Max, l’ami dont Philippe est à la recherche, en Floride : « C’est pour cela que ni démocrate, ni même républicai­n, Max regrette le temps du fascisme. Il en appelle à un nouveau fascisme – un national-socialisme planétaire… » Cette critique n’est jamais théorique. Comme Hamelin est dramaturge en plus d’être romancier, il la distille habilement au rythme des conversati­ons de ses personnage­s comme quand Khawla, une punk syrienne au volant de sa Jeep, invite Philippe à faire un road trip avec elle et lui lance : «Vous savez ce qu’ils valent vos droits de l’homme ? » Voilà, on l’aura compris, on est entré dans un monde à la dérive où se débattent des gens dans des vies au bord de l’implosion. Même Philippe qui ne cesse d’esthétiser sa vie en ayant recours à l’art, et ceci dès le début du livre, comparant son arrivée aux USA en avion à la peinture l’Ascension de Giotto, n’échappe pas à la pression brutale d’une existence passionnée (il accepte un job de « volunteers » pour préparer la campagne électorale de Joe Biden) et passionnel­le (il aime toujours Audrey depuis son adolescenc­e et il la drague).

Une passion qui l’amènera à la découverte de zones obscures à l’occasion d’une promenade dans des marais, puis lors de la rencontre avec un catcheur se prenant pour un vampire après avoir été exposé à des radiations durant la guerre en Irak où il était soldat et, à la fin, sur le site glauque d’un tournage amateur de film porno. Je retiendrai ici le vampire en raison de l’humour grinçant qui se dégage de cette scène : « “Ma beauté ne t’inquiète pas – dit Christophe Drac – les gens n’osent pas se moquer de moi parce qu’ils voient bien que je suis dangereux. On ne peut pas quitter le manoir sans jouer un peu avec le vampire, le petit jeu du vampire. Parce que sinon, la belle poupée russe, elle a le fusil à pompe !” Il se mit à hurler : “Natacha ! Va chercher le shotgun !” »

Après avoir terminé ce roman, on ne peut s’empêcher de méditer sur son titre J’ai heurté savez-vous d’incroyable­s Florides, vers emprunté au poème « Le bateau ivre » de Rimbaud. Certes, Rimbaud traverse tout le livre et de multiple façon, et au passage on appréciera l’évocation de la vente aux enchères chez Christie’s du revolver qu’utilisa Verlaine en Belgique pour lui tirer dessus, mais sa poésie n’ouvre aucune porte, n’offre aucune issue à notre époque fermée sur elle-même, clôturée, bunkerisée. Après que Philippe a fait l’amour à Audrey, elle lui dit : « La tragédie de Rimbaud c’est que le poète en lui savait qu’il n’était qu’accidentel, son étoffe véritable c’était le trafic, l’argent, la violence… » Mais on se réjouira d’avoir lu le vers du titre du roman en anglais à l’occasion d’un incipit : «I have fouled, be it known, unspeakabl­e Florides. » Il sonne comme le début d’une chanson pop faisant écho à Hendrix. « J’ai reconnu Voodoo Child de Jimi Hendrix. Tout un monde de souvenirs est remonté des profondeur­s », fait remarquer Philippe.

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