Maurice Blanchot
Thomas le solitaire Kimé, 282 p., 26 euros
«Thomas s’assit et regarda la mer. » Trois livres portant la signature de Maurice Blanchot s’ouvrent par cette phrase, à la fois « toute pareille » et « toute nouvelle » pour reprendre les termes qu’il emploie afin de présenter le texte fortement resserré de 1950. Après la réédition chez Gallimard (2005) de la première version de Thomas l’obscur (1941), nous pouvons désormais lire ce roman inédit, dont le tapuscrit et le manuscrit appartiennent à la Houghton Library de l’Université de Harvard. « Mais, au fait, qui êtes-vous donc ? » La question posée à Thomas par Anne, une des deux protagonistes féminines, qui est aussi la première morte « surabondante de vie », a encore gagné en profondeur lorsqu’on lit aujourd’hui ce Thomas, vraisemblablement composé entre 1931 et 1937, selon les fines hypothèses des deux éditeurs, Leslie Hill et Philippe Lynes. Puisque plus proche d’une supposée « origine », la rédaction de cet ouvrage au cours des années 1930 par un Maurice Blanchot encore inconnu du monde des lettres, mais très actif en tant que journaliste d’une extrême droite nationale-révolutionnaire et hostile à l’hitlérisme écrivant d’abondance au Journal des débats, à l’hebdomadaire Aux écoutes, à Combat ou à l’Insurgé, appelle une lecture à coup sûr plus vigilante, notamment lorsque des événements politiques y trouvent leur place d’une manière plus explicite que dans les versions ultérieures, comme par exemple lors de l’épisode des émeutes de février 1934. Avec du recul, la mise à disposition de trois livres construits autour d’un commun « centre imaginaire » incite évidemment aux comparaisons, mais aussi à mesurer combien cette narration d’un solitaire entrant dans la « mort seconde » par la dispersion fictive produit en outre un Blanchot plus complexe et rend la réponse à la question d’Anne nettement moins évidente.